La légitimité de l’artiste

Pietro Pizzuti mange le théâtre sur tous les fronts. Profon-dément humaniste, il soumet sa passion à la question : c’est le sujet de sa pièce La Résistante, créée au théâtre Le Public dans la mise en scène de Guy Theunissen

Il y a du soleil et de l’insondable gravité en lui. Regardez son large sourire, le feu sombre des yeux, les mains qui racontent, la silhouette souple, écoutez les nuances de la voix qui mastiquent les mots, les rendent juteux. Voilà Pietro Pizzuti, homme à l’énergie démultipliée, écrivain, comédien, metteur en scène, pédagogue, sociologue, conseiller artistique, sourcier des écritures de la scène…, et qui n’est jamais pris en défaut de générosité et d’écoute de l’autre.

Romain de naissance (1958), il vit chez nous depuis son berceau ou presque, non par la rude immigration ouvrière, mais parce que son père construisait l’Europe. Sociologue diplômé de l’UCL, il passe par le Conservatoire de Bruxelles et y découvre l’empire du verbe et sa séduction. En 1978, le comédien débute, en 1985, l’auteur est joué et, en 1992, Pietro Pizzuti lance Temporalia, une structure qui favorise l’émergence des écritures sur la scène en Communauté française. Les éditions Emile Lansman lui emboîtent le pas. Faute de soutien financier, Temporalia a aujourd’hui jeté l’éponge. Mais la passion de l’écriture est restée chevillée en Pizzuti. Elle a enfanté Les Ailes de la nuit, Leonardo, Alba Rosa, N’être… et cette Résistante aujourd’hui créée : des textes denses, où la poésie nimbe le débat, où l’humain cherche son rapport au monde, sur le fil de l’intimité blessée et sur la mise en abyme de la création. L’auteur n’efface pourtant pas le comédien, qui bondit du National au Rideau en passant par Villers-la-Ville : performance du corps ( Quasimodo, Saint François), virtuosité de l’incarnation solitaire ( Au fond du couloir à droite, de Baldini, Novecento, de Baricco, La Lettre aux acteurs, de Novarina), les métamorphoses chantées, chorégraphiées d’Ingrid von Wantoch Rekowsky. Pietro Pizzuti creuse la matière du jeu, inlassablement, comme il fait surgir l’axe puissant et pourtant simple et sensible d’une mise en scène ( Fabbrica, de Célestini). Et toujours l’écriture… Pianotant sur l’ordinateur, chez lui à Saint-Josse ou ailleurs quand le besoin le tenaille, un cahier et un crayon à la main.  » Je vois mes personnages, s’ils sont de face ou de profil, dans l’ombre ou la lumière, je les entends comme dans un film, je parle, je gesticule…  » Telle est la fabrique de l’écrivain.

Ecrire assis, vivre debout

Sa Résistante (éd. Lansman) interpelle l’acte d’écrire, son besoin et sa légitimité face aux faits du monde.  » J’écris la guerre assise pour pouvoir vivre debout « , lance Pizzuti. Ainsi le personnage de l’auteure interpelle-il ses personnages, la mère qui porte la vie, l’enfant-soldat, acteurs d’une guerre. Ceux-là se rebellent.  » Ma vie n’est faite que des mots que tu me fourres dans la bouche parce que tu n’oses pas les crier « , hurle la mère. L’artiste peut-il changer le monde ? Le débat hante Pizzuti, comme il est le trouble de tout intellectuel quand il crève la bulle de sa création. Ce texte haletant s’ouvre sur des peurs verrouillées, sur le doute. Presque abstrait, il est pourtant gorgé d’émotion. Dans sa mise en scène au théâtre Le Public, Guy Theunissen a restreint l’espace non défini de La Résistante à l’Afrique. En donnant aux personnages le jeu très concret, généreux et extraverti de deux acteurs et d’un musicien camerounais, il a décentré l’axe de la pièce, celui qui ne passe que par la tête du créateur de cette auteure résistante, incarnée avec ferveur par Catherine Salée, reléguée sur son praticable au bout d’une langue de terre sèche sur un sous-sol rouge, saignant. En fin de parcours, elle finira par descendre sa table dans l’arène. Pourtant tramé d’images fortes, le spectacle peine à trouver sa tension et s’étire.

La Résistante, une production de la Maison éphémère et de la Compagnie Annoora (Cameroun), au théâtre Le Public, à Bruxelles, jusqu’au 25 février. Tél. : 0800 944 44 ; www.theatrelepublic.be

Michèle Friche

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