Quand elle était gamine, Verena Reul, 47 ans, rêvait d’être détective. D’une certaine manière, elle l’est devenue. Elle occupe la fonction de juge d’instruction depuis 1988, date à laquelle le jeune arrondissement judiciaire d’Eupen s’organise avec l’allemand pour seule langue officielle. Le milieu criminel et les notables à l’honnêteté incertaine la redoutent. Son dynamisme, son flair de flic et sa parfaite insensibilité aux considérations de rang social sont bien connus, mais n’allez pas le répéter. Madame la juge instruit à l’ancienne, dans le secret de son cabinet, dans un rapport direct avec l’inculpé, laissant au procureur du roi le soin de communiquer. Quand la juge tient un suspect dans sa ligne de mire, la motivation des policiers est telle qu’ils sont capables de ramener dans leurs filets une bande qui exerce ses talents sur tout le territoire belge. En avril 2000, il a fallu réquisitionner une école voisine pour juger, dans les conditions nécessaires de sécurité, une dizaine de malfrats, dont l’un des dix les plus recherchés de Belgique. Tout cela à cause d’un malheureux hold-up à Eupen.
Frontalier de trois pays, le ressort judiciaire d’Eupen voit passer une partie de la criminalité de l’Est. La moitié des affaires concernent des étrangers. Comme ces trafiquants lituaniens de voitures détectés à Nidrum, dans l’Eifel belge, ou ces bandes albanaises extrêmement violentes et absolument fermées qui s’activent dans la prostitution et les attaques contre les biens. On est loin des petites saisies de cannabis ou de cocaïne qui formaient l’ordinaire d’antan ! La juge d’instruction est rompue à la collaboration avec les Allemands (moins avec les Luxembourgeois : les enquêtes financières se heurtent vite au mur du secret bancaire). Que ce soit à Aix-la-Chapelle ou à Cologne, une commission rogatoire internationale est exécutée en un tour de main. Verena Reul profite aussi de la science criminalistique de nos voisins : les premières analyses de fibres, quand cela ne se pratiquait pas encore en Belgique ; le recours au détecteur de mensonge » non encore balisé par la cour d’appel de Liège « , regrette-t-elle ; une large palette d’experts, notamment dans le domaine psychologique où la maîtrise de la langue allemande est essentielle. L’expert joue un rôle capital dans le travail du juge d’instruction contemporain. L’Eupenoise les choisit doués pour la pédagogie, car c’est d’eux qu’elle attend une remise à niveau permanente, face à une criminalité, elle aussi, de plus en plus affûtée. Cela coûte cher, tout comme l' » heure » du policier emberlificoté dans son nouveau statut ou le devoir complémentaire réclamé par une partie civile.
La victime ! Mieux prise en compte par une justice certainement plus humaine, elle a alourdi le travail des juges, » sans que la manifestation de la vérité y gagne toujours, prévient la juge germanophone. Souvent, le dossier contient déjà l’essentiel « . Les affaires de m£urs qui, après l’affaire Dutroux, avaient connu un pic de dénonciation à la justice sont de nouveau en recrudescence dans les milieux défavorisés. Esprit inquiet, la juge replonge alors dans ses anciens dossiers pour comprendre, aider. Aider, oui, mais ce mot-là ne franchira jamais les lèvres de l’ancienne juge de la jeunesse, convaincue que, dans les matières humaines, aucune solution n’est parfaite. Elle fait partie de ces 112 magistrats instructeurs qui tiennent dans leurs mains nos libertés. Une belle figure de la démocratie, rongée par la tentation d’inspiration anglo-saxonne de ne plus en faire qu’un juge de l’instruction, simple contrôleur des enquêtes menées par la police et les parquets, placés respectivement sous l’autorité des ministres de l’Intérieur et de la Justice. Verena Reul, elle, appartient totalement au pouvoir judiciaire. Cela ne fait pas que des amis.
Marie-Cécile Royen