Claudine, alerte comptable sexagénaire, a connu la rue après la faillite. Aujourd’hui, elle est bénévole, pour ne plus avoir le sentiment de mendier son allocation sociale.
Elle a la voix rauque de Simone Signoret. Un peu de son tempérament aussi, sans doute. » J’ai beaucoup de chance, dit Claudine : mes amis ne m’ont jamais lâchée. » Dans la bouche de cette femme de 63 ans, le mot » chance » résonne curieusement. Comptable dans le Brabant wallon, cette indépendante victime d’une maladie grave a vu son affaire déclarée en faillite. Ses problèmes de santé ne lui permettaient plus de travailler ni de payer à heure et à temps ceux à qui elle devait de l’argent. Chez elle, tout est saisi, même son séchoir et sa voiture, synonyme, pour elle, de liberté.
Pour apurer une dette de quelque 10 000 euros, seuls une table, une chaise, un lit et une garde-robe lui sont laissés. Incapable de payer son loyer, elle se retrouve dans la rue, pendant trois semaines. » La rue, ce n’est rien, dit-elle. Sauf pour l’hygiène. Maintenant, quand je prends un bain, j’y reste une demi-heure. Je sais ce qu’il vaut. » Et puis il faut veiller à ne pas être reconnue, dans cette petite ville où tout le monde se connaît et s’étonnerait, légitimement, de croiser sa comptable si souvent sur la chaussée. Tirée de ce mauvais pas par un ami qui la reloge, Claudine touche aujourd’hui une allocation mensuelle de 725 euros du CPAS. Son loyer déduit, ainsi que ses charges, et l’entretien de son chien, » qui compte plus que l’argent « , il lui reste 180 euros par mois pour manger, soit 6 euros par jour. » S’habiller, vous oubliez, bien sûr ! lance-t-elle. Mais fauchée, je reste digne. Je connais quelques petites adresses où on trouve des vêtements à 5 euros… Dans ma situation, il faut veiller en permanence à ne rien dépenser. C’est lourd. Il faut longtemps pour accepter que les choses ne seront plus jamais comme avant. «
Avant ? Avant, Claudine se rendait dans un salon de soins toutes les trois semaines. Aujourd’hui, ses pieds sont en compote faute d’être hébergés dans des chaussures convenables. Avant, elle s’offrait volontiers une jolie plante, croisée dans la vitrine d’un fleuriste. » J’en ai vu une, hier. Impossible de me la payer. J’ai ri. Que voulez-vous ? C’est ça ou crever. Or ni mon père, ni mon mari, partis avant moi, ne sont pressés de me voir arriver là-haut… » Avant, Claudine vivait dans un appartement chauffé. En hiver, le thermomètre ne monte pas plus haut que 12 degrés chez elle. » Je mets des pulls « . Elle fait aussi ses emplettes dans une épicerie sociale, où elle peut dépenser 4 euros par semaine. Fréquenter les grandes surfaces, Lidl mis à part, est un si lointain souvenir…
Mais Claudine n’est pas femme à nourrir des regrets. » De tout cela, j’ai appris que rien n’est jamais acquis « . Prise pour cible trois fois par le cancer, elle a décidé un beau matin qu’elle en avait assez de mendier son allocation. Elle est, du coup, devenue bénévole, à mi-temps, pour une agence immobilière sociale de sa commune.
» Il faut les épaules solides pour en sortir. La honte, vous l’avez en vous… » Mais aujourd’hui, il fait beau. Claudine s’est offert du poulet. Et une petite glace. Bonheurs…
L.V.R.