La grande peur des expatriés

Depuis la prise d’otages et l’assaut sanglant contre le site pétrolier d’In Amenas, les compagnies internationales s’interrogent, de l’Algérie au Niger, sur les conditions de sécurité pour leurs personnels étrangers. Et les réponses des autorités ne les rassurent guère…

Centre de crise du ministre français des Affaires étrangères, Paris, le 25 janvier. Sur la carte d’Afrique punaisée au mur, une zone rouge, indiquant un danger absolu pour les Français, couvre une bonne partie de l’ouest du continent, de la Mauritanie jusqu’au Niger.  » Nous ne cessons de l’étendre, commente Didier Le Bret, patron des lieux. Le risque terroriste est maximal. Même au Sénégal et en Côte d’Ivoire, nous renforçons notre vigilance.  » Quelques heures plus tôt, le Foreign Office – ministère britannique des Affaires étrangères – conseillait à ses ressortissants de quitter la ville libyenne de Benghazi en raison d’un danger  » imminent « . Et l’ambassade américaine d’Alger aurait, en toute discrétion, évacué une partie de son personnel, dont la présence n’était pas jugée indispensable – les familles, en particulier. En jargon diplomatique, on appelle ça le  » célibat géographique « . La raison : des risques d’enlèvements estimés  » très sérieux  » par Washington, dans le Sahara, mais aussi sur la bande côtière du pays, réputée pourtant plus sûre.

La prise d’otages et le siège d’In Amenas, du 16 au 19 janvier, sont encore dans tous les esprits. Les traces de l’assaut sanglant n’ont pas été effacées sur le site gazier et il reste trois corps non identifiés à la morgue d’Alger. Malheureusement, l’heure n’est pas à la compassion pour les expatriés qui travaillent sur des complexes pétroliers. Car tous se posent la même question : faut-il craindre une nouvelle attaque terroriste, une  » réplique « , comme disent les experts en sécurité ?

A priori, la réponse est non. Partout, en Algérie, les walis (préfets) ont renforcé la surveillance des sites stratégiques. Des militaires ont été déployés et il serait difficile, pour un groupe terroriste, de renouveler une opération semblable, car il ne bénéficierait plus de l’effet de surprise. Cette analyse reste, pourtant, sommaire. Car elle néglige un élément important : la  » guerre pour le leadership que se livrent, dans cette zone, plusieurs chefs terroristes, explique Lilian Laugerat, directeur des opérations de la société de sûreté Iremos. Ils n’existent que par leurs faits d’armes, rappelle cet expert en négociation de crise. L’assaut d’In Amenas mené par Mokhtar Belmokhtar peut entraîner une surenchère parmi ses rivaux.  »

Les pétroliers dépendent des autorités

 » En menant l’attaque d’In Amenas, site historique de la compagnie d’Etat Sonatrach, il montre qu’il faut compter avec lui, analyse Pierre Montoro, grand connaisseur de ce pays et patron de la société de conseil en sécurité Erys. Le sacrifice de ses 40 djihadistes accroît son prestige et lui permet d’attirer de nouveaux combattants.  » Comme d’autres, Pierre Montoro craint l’embrasement :  » Chaque fois qu’un nouveau groupe émerge dans la région, il y a des violences. C’est à celui qui mènera l’action la plus spectaculaire pour ravir la suprématie.  »

Voilà qui n’est guère rassurant pour les 4 000 expatriés occidentaux qui assurent des rotations dans le Sud saharien. Certes, si l’on en croit les discours officiels, tout va bien.  » Les entreprises sont en train de renforcer leurs procédures pour sécuriser leur personnel et leur site « , a précisé Laurence Parisot, présidente du Medef, le patronat français. Les faits, toutefois, sont un peu différents. Car les groupes étrangers ne sont pas en mesure de se protéger. Ils doivent s’en remettre aux autorités algériennes, qui, seules, assurent cette mission régalienne. Problème : en sont-elles vraiment capables ? Difficile de faire parler des Algériens sur cette question. Et leurs interlocuteurs européens sont tout aussi frileux :  » J’ai reçu des instructions formelles de mon siège parisien, dit l’un d’eux. Si je m’exprime, je suis viré.  » D’autres, toutefois, ont accepté de répondre. Ils resteront anonymes, mais partagent leur ressenti. Et leur inquiétude. Pour eux, la menace terroriste est très présente. Quant à savoir s’ils sont bien protégés, la réponse est plus que mitigée…

Plus de 400 expatriés vont quitter l’Algérie

Davantage de patrouilles – nocturnes, surtout – auraient-elles pu prévenir le drame d’In Amenas ? Difficile à dire. Les gardes à l’entrée du site auraient-ils dû être armés ?  » Ils n’auraient jamais pu stopper le commando, répond Pierre Montoro. Mais un feu nourri aurait sans doute permis de ralentir de quelques minutes l’assaut des terroristes, le temps que les renforts arrivent.  » Le sujet taraude en ce moment les  » pétroliers  » : faut-il armer les forces de sécurité privées ? Il y a dix ans, la question avait, déjà, provoqué des discussions animées. A l’époque, les Américains avaient voté pour, alors que BP était plutôt contre…

En réalité, le débat risque de tourner court. Car les Algériens n’accepteront jamais la présence de  » cow-boys  » sur leurs complexes gaziers.  » Ils vont nous expliquer d’une voix douce que nous n’avons pas à nous inquiéter, que tout est sous contrôle et qu’ils ont acheminé des renforts sur les installations, soupire Henry qui dirige la filiale algérienne d’un grand groupe pétrolier européen. Mais ce n’est pas parce qu’il y a plus d’hommes autour des installations qu’elles sont mieux protégées…  » Sont-ils correctement organisés ? Les  » pétroliers  » envisagent de demander des comptes aux autorités algériennes.

En attendant, ils se contentent de réduire la voilure.  » Les rotations d’expats sont stoppées, les entreprises font tout pour réduire leur exposition, observe Bertrand Monnet, professeur à l’Ecole des hautes études commerciales du nord, à Lille. Mais le contexte est difficile. Les sociétés n’ont pas les moyens de se protéger et ne peuvent pas non plus se retirer. Elles sont piégées.  »

Les salariés, eux, quittent le bateau. Selon un patron de filiale, 10 % des expatriés travaillant dans le pétrole, soit plus de 400 personnes, sont en train de mettre fin à leur mission en Algérie, car ils craignent pour leur sécurité. Les assureurs leur emboîtent le pas.

Dans les pays limitrophes, la situation est plus tendue encore. Au Niger, les entreprises étrangères étaient, jusqu’à ces derniers jours,  » otages  » des autorités en matière de sécurité. Exemple, Areva. Sur le site d’Arlit, où le groupe nucléaire français exploite une mine d’uranium, la protection était encore jugée, il y a peu,  » très perfectible « , selon un connaisseur du dossier. En cause : le manque d’implication des gardiens mis à la disposition d’Areva par l’Etat nigérien, et même de la garde nomade, la police nigérienne. Conscientes du problème, les autorités françaises ont mené des négociations serrées avec le gouvernement de Niamey.  » Cela n’a pas été facile « , reconnaît, au ministère français des Affaires étrangères, un familier du dossier. Mais les diplomates ont eu gain de cause. Des forces spéciales françaises vont se déployer à proximité du site stratégique, où sept salariés des sociétés Areva et Satom avaient été enlevés à leur domicile, en septembre 2010, par des membres d’Aqmi armés de kalachnikovs. A l’époque, leurs gardiens étaient équipés de simples bâtons. Mais, aujourd’hui, les entreprises n’ont plus le droit à la naïveté.

CHARLES HAQUET

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