La France se rebiffe

On savait les Français mécontents et Raffarin impopulaire. Mais une telle débâcle était inattendue. La droite est KO. Touché de plein fouet, le président Chirac remanie le gouvernement. Suffisant ?

Les chiffres sont impitoyables : la droite détenait 15 régions sur 26, elle n’en conserve qu’une à l’issue du second tour. Une véritable raclée, plus qu’un camouflet pour le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et son équipe. Sept ministres s’étaient engagés personnellement dans la bataille, se présentant comme têtes de liste dans leur région. Tous, sans exception, ont été battus. Sans doute la droite n’espérait-elle pas des résultats mirobolants, mais l’ampleur de la défaite la laisse groggy. Le message que viennent de lui adresser les électeurs est aussi limpide que douloureux : c’est un désaveu radical à l’égard du gouvernement et de Jacques Chirac.

Nicolas Sarkozy, l’étoile montante de l’UMP (le parti du président), a immédiatement pris la balle au bond :  » Il appartient à la majorité de tirer les leçons d’un scrutin qui, pour être local, n’en a pas moins une dimension politique qui n’est pas contestable.  » Tirer les leçons… C’est aujourd’hui une question de survie pour Jean-Pierre Raffarin et, au-delà, pour le président Chirac lui-même. Visiblement, les politiques mises en place par la droite n’ont pas convaincu les Français. Avocats, intermittents du spectacle, scientifiques et chômeurs avaient déjà laissé éclater leur colère à plusieurs reprises. Il apparaît aujourd’hui que le mécontentement s’étend à toutes les catégories sociales. Le gouvernement ne pourra plus, à l’avenir, discréditer les mouvements sociaux en les réduisant à  » une poignée d’éternels mécontents « . Et la défaite cuisante qu’il vient d’essuyer provoquera des remous durables.

Raffarin reste, mais son gouvernement est remanié. La défaite de la droite est une gifle personnelle pour Jean-Pierre Raffarin. Terne et impopulaire, le Premier ministre avait de plus en plus de mal à imposer son autorité au sein même du gouvernement. Il incarne par ailleurs l’aile la plus libérale de la majorité û celle qui est aujourd’hui la plus contestée. Une solution s’offrait donc à Jacques Chirac : remplacer Raffarin par une personnalité plus en phase avec l’opinion publique, apte à relancer la machine gouvernementale. Le président s’y est refusé. D’abord parce que Jean-Pierre Raffarin est un fidèle parmi les fidèles, avec lequel il entretient de bonnes relations. Ensuite parce que son remplacement aurait posé un problème délicat. En effet, le mieux placé des candidats pressentis pour ce poste n’était autre que Nicolas Sarkozy, populaire ministre de l’Intérieur mais ennemi intime de Chirac. Raffarin continuera donc de piloter la majorité. L’équipage gouvernemental est cependant soumis à un jeu de chaises musicales. Plusieurs ministres issus de la  » société civile  » (Luc Ferry, Francis Mer, Jean-François Mattei) quittent le navire. Dominique de Villepin échange les affaires étrangères contre l’intérieur. Quant à Sarkozy, il hérite d’un grand ministère de l’économie et des finances.

Chirac au c£ur des turbulences. Le président n’en est pas à son premier coup dur. Dans le passé, il s’est fréquemment trouvé en mauvaise posture, notamment en raison de son implication présumée dans plusieurs affaires politico-financières. Rusé et opportuniste, il a pourtant chaque fois réussi à rebondir. Survivra-t-il à cette nouvelle secousse ? C’est possible, mais pas certain. Déjà, certains journaux français évoquent l’ambiance de  » fin de règne  » qui plane sur l’Elysée. Mis à mal par la mauvaise gestion de la canicule de l’été 2003 et par la condamnation de son dauphin Alain Juppé, Jacques Chirac est cette fois-ci touché de plein fouet. C’est lui qui, en mai 2002, a choisi de nommer Raffarin Premier ministre. C’est encore lui qui, cinq mois plus tard, a décidé de rassembler toutes les forces de droite au sein de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). Ce nouveau parti devait être une machine de guerre pour affronter la gauche. Aujourd’hui, son échec est patent : la droite est non seulement défaite, mais ses dissensions internes sont de plus en plus visibles.

Gouverner différemment, mais pas trop. Durement sanctionnée, la majorité doit montrer qu’elle a entendu l’avertissement. Il lui faut donner des gages aux électeurs. Mais, dans le même temps, Raffarin doit défendre la politique qu’il a menée jusqu’à présent. Cela implique de faire aboutir les réformes engagées, dont certaines touchent à des domaines aussi sensibles que les soins de santé ou la sécurité sociale. Le gouvernement Raffarin est donc sur la corde raide. Il serait irréaliste pour lui d’opérer un virage à 180°. En revanche, il est probable qu’il donne dorénavant à sa politique un tour plus social, en renonçant par exemple à certains projets particulièrement impopulaires. Mais, pour retrouver la confiance des Français, le temps presse : les élections européennes ont lieu le 13 juin.

Le libéralisme sanctionné. Ce n’est pas seulement un parti qui a été désavoué les 21 et 28 mars, c’est aussi une idéologie : le libéralisme à outrance. La droite a subi des revers dans ses bastions historiques, comme la Bretagne et le Poitou û signe que même son électorat traditionnel n’est pas forcément prêt à payer le coût social des  » réformes  » prônées par l’UMP. Détail révélateur : la seule région qui est sauvée du naufrage est l’Alsace, où la droite présentait un profil plus modéré, proche de la démocratie chrétienne. Les bons scores obtenus par les centristes de l’UDF, très critiques envers la politique sociale du gouvernement, sont également symptomatiques des craintes nourries par une grande partie de la population devant la montée de la précarité.

Le PS devra composer avec ses alliés. La gauche pavoise : elle a atteint des sommets qu’elle n’avait plus connus depuis quinze ans. Elle a notamment retrouvé cet électorat populaire qui lui avait brutalement tourné le dos en avril 2002. Au premier tour, 45 % des ouvriers ont voté pour une liste de l’ex-gauche plurielle, soit deux fois plus que lors de la dernière présidentielle. Grands vainqueurs du scrutin, les socialistes raflent la quasi-totalité des présidences de région. Ils devront toutefois composer avec des alliés indisciplinés, qui estiment avoir eux aussi contribué à la victoire. Les Verts viennent en effet de doubler leur nombre de conseillers régionaux, tandis que le Parti communiste a enregistré un surprenant sursaut après vingt ans de déclin ininterrompu.

Le succès du  » vote utile « . Si les Français ont voulu sanctionner le gouvernement, ils l’ont fait en donnant massivement leurs voix au Parti socialiste et autres formations de l’ex-gauche plurielle. Du coup, l’extrême gauche et l’extrême droite ont enregistré des résultats inférieurs aux prévisions, tandis que l’abstention restait sous la barre des 40 %. A l’évidence, la plupart des électeurs de gauche ont retenu la  » leçon  » du 21 avril 2002. A l’élection présidentielle, de nombreux mécontents avaient en effet manifesté leur colère en se tournant vers Arlette Laguiller, Jean-Pierre Chevènement ou Olivier Besancenot. Un choix qui avait facilité la qualification de l’extrême droite au second tour… et la réélection triomphale de Jacques Chirac.

Le malaise persiste. Le Front national stagne, dit-on. Le parti d’extrême droite a pourtant engrangé 300 000 voix de plus qu’en 1998. En fait, si le nombre de ses conseillers régionaux est ramené de 275 à 156, c’est uniquement en raison du nouveau mode de scrutin, qui lui était très défavorable. Pas de quoi se réjouir, donc. D’autant que les causes du malaise politique français demeurent : chômage, insécurité, incertitudes quant à l’avenir des services publics, libéralisation partielle des soins de santé… De son côté, la gauche doit se méfier. Les électeurs ne l’ont pas choisie pour son projet de société û celui-ci reste très nébuleux û mais pour  » punir  » le gouvernement. Le Parti socialiste, en particulier, devra donc se garder de tout triomphalisme, et formuler le plus rapidement possible une alternative crédible à la politique de la droite.

François Brabant

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