La folie des potagers

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

De plus en plus de citoyens, habitants des campagnes ou des villes, se lancent dans la création de potagers. L’opération est financièrement intéressante. Mais ce retour à la terre cache d’autres enjeux.

La folie totale.  » Le cri du c£ur de ce gérant de jardinerie, dans la région de Charleroi, a le mérite d’être clair : cette année, lui et ses collègues actifs dans la vente de plantes aromatiques, de semences de légumes et de petit matériel de jardinage ont assisté à une impressionnante ruée des clients. Leur étonnement est d’autant plus grand qu’on leur avait prédit de bien sombres journées en raison de la crise économique. Alors que la saison des légumes touche à sa fin, ils observent avec ravissement la croissance enregistrée par leur chiffre d’affaires : entre 15 et 50 % !

Crise ou pas, l’économie réalisée par les amateurs de légumes  » fabriqués maison  » est évidente : elle est évaluée entre 600 et 1 000 euros par an, pour une famille et un potager moyens. Le calcul est vite fait : une salade se vend environ 1,20 euro en grande surface alors que, pour le même prix, le consommateur peut acheter un sachet contenant une trentaine de graines de salades. Même si l’achat de matériel de jardinage rend cette économie moins importante la première année, le porte-monnaie des amateurs de légumes aux mains vertes se porte mieux dès le printemps suivant.

Crise aidant, certains con-sommateurs renoncent aussi, par exemple, à partir à l’étranger pour des week-ends prolongés. Du coup, ils sont davantage chez eux et bénéficient de plus de temps libre pour se consacrer à leur jardin.

Mais la crise n’explique pas tout.  » Elle n’a pas eu une influence déterminante sur les ventes de ce type de produits « , analyse Piet De Langhe, représentant du secteur bricolage et jardinage au sein de la Fédération de la distribution (Fedis). D’ailleurs, de l’avis des représentants du secteur, l’intérêt pour le jardinage grandit depuis plusieurs années.  » Les consommateurs désirent surtout manger des produits de qualité, qu’ils savent exempts de pesticides « , assure Freddy Sparenberg, qui dirige la pépinière et jardinerie écologique Ecoflora, installée à Halle. La plupart d’entre eux jugent que les légumes vendus en grande surface n’ont plus guère de goût.

 » Mieux informés et davantage conscients des enjeux environnementaux, les consommateurs souhaitent aussi devenir acteurs, ajoute Francis Giot, président de Nature & Progrès. Inaugurer un potager représente pour eux un acte citoyen.  » Son organisation reçoit d’ailleurs de nombreuses demandes de renseignements émanant de gens qui sacrifient leur pelouse au profit d’un potager. L’appel de la terre et l’envie de retrouver les valeurs que son travail incarne semblent irrésistibles.

Des jardiniers de plus en plus jeunes

Outre les clients habituels des jardineries, que l’on trouve traditionnellement dans les tranches d’âge supérieures, les jeunes ont désormais contracté le virus.  » Nous voyons de plus en plus de jeunes couples débarquer chez nous et nous bombarder de questions sur la façon dont on crée puis dont on entretient un potager « , explique Axel Gaone, gérant de la jardinerie Tournesols, à Châtelineau. Leur préoccupation va notamment à la qualité des aliments qu’ils consommeront, ainsi qu’à leurs enfants, mais nombre d’entre eux choisissent également de commencer un potager pour des raisons pédagogiques. On peut y apprendre tant de choses…

Leurs légumes de prédilection sont davantage méditerranéens (tomates, poivrons) que traditionnels (oignons, poireaux, pommes de terre).  » Je suis frappé de voir, lors des animations que nous organisons, des jeunes qui ne savent absolument pas comment s’y prendre pour semer ou cultiver des légumes, raconte Francis Giot : cette génération n’a jamais vu jardiner. « 

Autre tendance de fond : l’insolent succès des plantes aromatiques. Les consommateurs raffolent désormais du thym, du laurier, de la sauge, de la menthe, du persil, de la ciboulette et autres branches de cerfeuil qui ne prennent guère de place et donnent tellement de saveur aux plats. Un effet de mode, sans doute, mais qui s’en plaindrait ? Les plantes aromatiques présentent l’immense avantage de prendre peu de place. Même les occupants d’appartements peuvent donc aménager un petit espace, sur un balcon ou une terrasse, pour les cultiver.  » Cela pourrait représenter une niche à investir à l’avenir « , avance Pierre Mattelet, administrateur délégué du semencier Gonthier.

Les potagers collectifs ont le vent en poupe

Les participants à ce type de projet, qui consiste à cultiver à plusieurs (amis, voisins…) un jardin potager en milieu urbain, sont des acheteurs massifs de semences de légumes. Les communes, entres autres, louent des potagers à leurs habitants. Reste qu’il faut s’armer de patience ; les listes d’attente sont longues. Ainsi à Jette, le délai est de cinq ans. Outre les bienfaits sociaux qu’ils offrent, ces potagers collectifs assurent aussi, à l’intérieur des villes, de petits îlots de biodiversité.

Laurence van Ruymbeke

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