» LA FINANCE DOIT SERVIR L’ÉCONOMIE « 

Thierry Philipponnat, 49 ans, a travaillé de 1986 à 2006 dans les milieux bancaire, financier et boursier, notamment chez BNP Paribas et UBS. En 2006, il est entré au service d’Amnesty International France, où il était notamment en charge de la responsabilité sociale des entreprises financières. Depuis le 30 juin dernier, il est secrétaire général de Finance Watch.

Le Vif/L’Express : Pour quelles raisons avez-vous souhaité prendre la tête de l’organisation Finance Watch ?

Thierry Philipponnat : Je suis convaincu que défendre les intérêts privés d’entreprises bancaires ou financières est légitime. Mais l’intérêt public pourrait mieux être pris en compte. En prenant les rênes de Finance Watch, j’espère influer en ce sens sur le cours des choses.

Finance Watch aurait-elle, par exemple, une carte à jouer dans la crise qui touche actuellement l’Union européenne, à travers la Grèce, l’Irlande ou le Portugal ?

Oui et non. Non parce que dans la crise actuelle, un certain nombre des questions qui se posent sont d’ordre politique, budgétaire ou fiscal et sont du ressort des Etats. Or le macroéconomique n’est pas dans notre spectre : nous devons rester focalisés sur notre métier.

Mais oui parce que c’est précisément notre rôle de réfléchir et de proposer une organisation du système financier qui prenne en compte l’intérêt public. Lorsqu’il apparaît que certains aspects de l’industrie financière ne font qu’exacerber les problèmes en cas de crise, alors nous avons quelque chose à dire. Je vous donne un exemple : après que la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen eut voté, il y a trois mois, un texte proposant d’interdire l’usage spéculatif de certains produits dérivés (credit default swaps) émis sur la dette des Etats souverains, le lobby bancaire s’est mis en route pour convaincre les élus européens que ces produits étaient indispensables pour réduire le coût de cette dette. C’est faux. C’est là que nous devons veiller à ce que les décideurs aient une vue la plus objective possible sur le sujet.

Quel est votre regard sur l’évolution du monde de la finance, depuis vingt ans ?

Il y a deux conceptions de la finance. La première consiste à apporter des capitaux et des services financiers à la société. La seconde revient à parier sur tout ce qui bouge pour engranger un maximum d’argent. Dans certaines banques, entre 40 et 85 % du chiffre d’affaires provient du jeu des transactions financières. Cette conception des choses n’est pas utile à la société. De la même manière, dans la gestion d’actifs, il y a moyen d’allouer du capital à des projets économiques qui ont du sens. Mais depuis quinze ans, on y voit au contraire se développer le concept de performance absolue, qui garantit aux investisseurs qu’ils seront financièrement gagnants, que les marchés soient orientés à la hausse ou à la baisse.

Ce faisant, on coupe la finance de l’économie. Or la finance doit être au service de l’économie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il n’y a rien de répréhensible à vouloir gagner de l’argent. Mais la conséquence ultime de cette logique, c’est que certains investisseurs ont intérêt à faire tout pour que la situation dégénère, de manière à en gagner un maximum. Quand on voit que le produit brut mondial représente 60 000 milliards de dollars et que le montant notionnel des produits dérivés, un outil de couverture des risques, s’élève à 600 000 milliards d’euros, il est temps de s’interroger sur le type de finances que nous voulons. Une telle disproportion entre les deux chiffres indique que 90 % des produits dérivés ne sont pas utilisés en couverture de risque, mais pour autre chose…

ENTRETIEN : LAURENCE VAN RUYMBEKE

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