» La détestation est une perte de temps « 

Dans la dernière ligne droite, toute heure compte. C’est dans le TGV Lyon-Paris, au retour d’une visite à Vaulx-en-Velin, que le candidat socialiste a accordé une interview au Vif/L’Express. Il s’explique sur le président qu’il serait.

Le Vif/L’Express : François Mitterrand disait que la principale qualité d’un président, c’était l' » indifférence « . Selon vous, quelle est-elle ?

François Hollande : L’indifférence aux humeurs, aux attaques, aux contingences, sûrement. La qualité principale d’un président, c’est de pouvoir appeler à une mobilisation nationale pour une grande cause et d’être jugé suffisamment sincère et crédible pour permettre cette adhésion. Ça s’appelle la confiance.

Un président a-t-il droit à l’erreur ?

Bon nombre de chefs de l’Etat ont usé et abusé de ce droit. Le dernier en titre encore davantage. Au point d’en faire un principe de gouvernement. L’erreur la plus grave est d’avoir changé constamment de ligne au lieu de garder un cap. Que retiendra-t-on de Nicolas Sarkozy ? Une énergie, mais au service de quoi ? Une réactivité ? Un réflexe, plus qu’une réflexion. Il a mené un quinquennat de discordes et de discours.

N’a-t-il pas contribué à sauver l’euro ?

En quoi la zone euro est-elle sauvée ? Trouver une solution pour la Grèce a été long, douloureux pour la population et coûteux pour les économies européennes, y compris pour la nôtre, qui a été dégradée puisqu’elle a perdu son triple A. Le président sortant dit toujours que si un autre avait été à sa place, c’eût été pire. Curieuse conception de la comparaison que de l’établir avec une virtualité. Le propre de la responsabilité est de devoir l’assumer.

En quoi modifieriez-vous la communication du chef de l’Etat ?

Convenons qu’elle n’a pas été un exemple, au point que le candidat sortant, par repentance, promet d’être un président différentà J’avais parlé, au début du quinquennat, de coups d’éclat permanent, on en voit bien l’épuisement. Mon rapport aux Français serait tout autre. Moins d’annonces et de proclamations. Plus d’actions et d’évaluations de leur efficacité. Président, je rendrai compte tous les six mois devant les Français, et le gouvernement le fera aussi devant le Parlement.

Comment prévenir d’autres affaires Merah ?

Ces actes terroristes ont rappelé l’existence de la menace. Extérieure d’abord : Aqmi détient des otages français. Ce qui se passe dans la zone Sahel doit nous rendre plus vigilants encore à l’égard d’une organisation qui, à la suite des désordres en Libye, en Mauritanie, aujourd’hui au Mali, au Niger, sans oublier le Nigeria, s’est diffusée et structurée. Ensuite, l’affaire Merah montre la dangerosité extrême d’un individu dont la folie peut rencontrer une propagande djihadiste. La lutte contre le terrorisme exige de renforcer encore nos services de renseignements, et d’améliorer leur coordination avec ceux de nos voisins et de nos alliés. Améliorer aussi notre surveillance des groupes qui diffusent des thèses de haine.

Les services ont-ils failli ?

Je salue d’abord les forces de police qui sont intervenues. Quant aux différents services, je ne fais pas de procès d’intention. Mais ce qui m’a surpris, c’est que Merah ait pu faire deux voyages au Pakistan et en Afghanistan et que, interrogé, il ait pu plaider la thèse du tourisme. En haut lieu, on a pu parler de  » failles « . Après le scrutin, nous tirerons toutes les conclusions utiles sur le fonctionnement de nos services, voire sur notre législation. Quant aux récentes interpellations, conduites avec une grande publicité, je constate que les personnes appréhendées ont toutes été relâchées. Je veux croire que c’est sans lien avec la campagne présidentielle. De la même manière, les refus d’entrée sur le territoire ou les expulsions de prédicateurs fondamentalistes auraient dû intervenir bien plus tôt. Pendant trop d’années, une forme de complaisance s’est installée au sommet de l’Etat vis-à-vis de certaines organisations. Je n’oublie pas que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, s’était exprimé au congrès de l’UOIF (clairement liée aux Frères musulmans), devant une assemblée où les femmes avaient été séparées des hommes.

Parlons de votre projet. Pendant la campagne pour la primaire, vous aviez des accents churchilliens pour dire qu’on ne pouvait pas tout faire. Aujourd’hui, on vous entend moins sur ce registreà

J’ai tenu la ligne qui est la mienne depuis ma déclaration de candidature, il y a un an. C’est celle d’un retour à l’équilibre des comptes publics à l’horizon 2017. Et, compte tenu des perspectives plus sombres de croissance, je n’ai pas intégré toutes les propositions du PS dans mon projet. Ainsi, sur les emplois d’avenir, j’en ai inscrit 150 000, alors qu’il en était prévu 300 000.

Vous affirmez donc n’avoir promis aucune dépense nouvelle depuis la présentation de votre programme, le 26 janvier ?

J’ai apporté des précisions. Ainsi, sur l’APA [NDLR : allocation personnalisée d’autonomie, dont François Hollande a proposé de doubler le plafond pour les personnes les plus dépendantes], par exemple, je l’ai fait en prévision de la réforme de la dépendance, qu’il conviendra d’engager. Au Bourget, c’était le 22 janvier, j’ai annoncé qu’il y aurait deux temps dans le prochain mandat : d’abord celui des réformes de structures pour le redressement économique et financier du pays, ce qui n’empêchera pas de répondre à des urgences, notamment sur le pouvoir d’achat. Et, ensuite, celui de la redistribution des fruits d’une croissance revenue. Je suis attaché au principe de cohérence. Il est la clé de la confiance. Contrairement à Nicolas Sarkozy, qui a fait, à la fin, l’inverse du début. Sa seule constante a été l’injustice dans ses choix.

Quelles seraient les mesures du second temps du quinquennat ?

D’abord, en matière de salaires, j’ai souhaité que le smic soit indexé non seulement sur les prix, mais aussi sur la croissance. Ensuite, j’introduirai l’allocation d’autonomie et de formation pour les jeunes, sous conditions de ressources. De même, la réforme de la dépendance sera d’autant plus ambitieuse que nous aurons les recettes nécessaires. Dans le même esprit, nous créerons davantage de places en crèche et dans les réseaux d’accueil, si nous dégageons rapidement des marges de man£uvre. Enfin, le rapprochement entre impôt sur le revenu et CSG permettra d’alléger les prélèvements sur les catégories les plus modestes et sur les classes moyennes.

Allez-vous modifier le financement de la protection sociale ?

Le système actuel est contesté de toutes parts, puisqu’il repose sur le seul travail. Je veux le diversifier en faisant appel à d’autres prélèvements, notamment sur l’ensemble de la richesse produite et sur les émissions de CO2. J’ai considéré que la TVA [NDLR : que Nicolas Sarkozy veut augmenter pour compenser l’allégement des cotisations patronales] ne pouvait être la réponse. Notamment parce qu’elle va amputer le pouvoir d’achat des ménages, donc la croissance. J’annulerai ces dispositions.

Le coût du travail est-il trop élevé en France ?

Par rapport à qui ? Aux pays émergents ? Sûrement, mais notre avantage compétitif ne peut se jouer sur ce terrain. A nos voisins et notamment aux Allemands ? Nous sommes au même niveau. Pas à cause des salaires, mais du fait des prélèvements sociaux. Est-ce à dire que ce serait aux ménages de payer par de nouveaux impôts les allégements de charges des entreprises ? Non, l’abaissement du coût du travail sera compensé au sein des entreprises.

Augmenterez-vous la contribution sociale généralisée (CSG) pour réduire en contrepartie les cotisations des salariés ?

Ça a déjà été fait il y a dix ans pour le financement de l’assurance-maladie. Il est possible d’aller plus loin. Mais je rappelle que le fondement des régimes de retraite, c’est la répartition. C’est-à-dire les cotisations versées par les employeurs et les salariés. Ce qui n’empêche pas d’aller solliciter les revenus du capital.

Si la croissance est moindre, que deviennent vos objectifs de réduction des déficits publics ?

Dans ce cas, les objectifs ne seront pas atteints, ni en France ni en Europe. Je ne veux pas imposer une cure d’austérité qui empêcherait d’ailleurs tout retour à l’équilibre. C’est l’enjeu de la renégociation du traité budgétaire européen, pour lui ajouter la dimension de croissance qui lui manque. Non pas avec une addition de plans nationaux, c’est impossible, mais avec une impulsion venant de l’Union européenne elle-même, à travers des eurobonds, des prêts de la BEI [NDLR : Banque européenne d’investissement] et une mobilisation exceptionnelle des fonds structurels.

Vous voulez augmenter le taux maximal de l’impôt sur le revenu de 41 % à 45 %. Par ailleurs, vous créez une tranche exceptionnelle à 75 % au-delà de 1 million d’euros de revenus annuels. Que va-t-il se passer pour les contribuables qui sont entre 45 et 75 % ?

Rien. Au-dessous de 1 million d’euros, le taux maximal sera de 45 % au-dessus de 150 000 euros par part. Au-dessus, le taux de 75 % s’appliquera sur les revenus supérieurs à ce seuil.

Allez-vous accentuer la progressivité de l’impôt sur le revenu en créant de nouveaux taux et de nouvelles tranches ?

Non. La progressivité sera accentuée par le plafonnement des niches fiscales à 10 000 euros et par un alignement de la taxation des revenus du capital sur celle des revenus du travail. Le matraquage fiscal dont nous parle le candidat sortant, c’est lui qui l’a asséné aux Français ! Il a créé 40 taxes, et les prélèvements obligatoires ont augmenté de 2 points, alors qu’il avait promis une baisse de 4 points. De plus, la non-indexation [NDLR : sur l’inflation] du barème de l’impôt sur le revenu va entraîner l’imposition de 200 000 nouveaux foyers dès cette année. Il prétend qu’il n’a pas baissé l’impôt des riches, puisque les prélèvements obligatoires ont augmenté. Il aura réussi ce paradoxe de les augmenter sur tout le monde, sauf sur les plus fortunés – et, parmi eux, les rentiers : c’est à travers le bouclier fiscal, qui a bénéficié aux revenus du patrimoine, que la dégressivité de l’impôt a été la plus significative.

Que ferez-vous des hausses d’impôts (TVA, taxe sur les mutuelles, etc.) décidées en août et novembre 2011 ?

A ce stade, nous les gardons, sauf la hausse de la TVA sur les livres, laquelle repassera de 7 % à 5,5 %, et la non-indexation du barème de l’impôt sur le revenu, sur laquelle nous reviendrons en 2013. C’est ce qu’il y a de plus injuste.

Y a-t-il trop de parlementaires ?

Le président sortant et sa majorité y ont répondu, puisqu’ils ont décidé un redécoupage des circonscriptions et même inscrit dans la Constitution le nombre de députés à 577, tout en portant le nombre de sénateurs à 348. Et voilà qu’à l’approche de l’élection, le candidat sortant promet la réduction du nombre de parlementaires et l’introduction de la proportionnelle. Quelle palinodie ! Je vais vous livrer une confidence : premier secrétaire du PS, j’avais été consulté par Nicolas Sarkozy avant la révision de la Constitution en 2008. J’avais fait de l’introduction d’une part de proportionnelle l’une des conditions du vote éventuel des socialistes. La réponse fut un refus net ! En ce qui me concerne, je suis favorable à l’élection d’un cinquième de l’Assemblée nationale à la proportionnelle, sans augmenter le nombre de parlementaires. Avec le non-cumul des mandats, le travail des parlementaires changera fortement. Les parlements modernes légifèrent peu et contrôlent beaucoup – tout l’inverse de ce qui s’est produit ici depuis cinq ans : record du nombre de lois votées, record du nombre de lois inappliquées.

Vous avez annoncé la création d’un ministère de l’Education, de la Jeunesse et de l’Avenir. Quels autres redécoupages envisagez-vous ?

Il y aura une quinzaine de pôles. Parmi eux, un pôle chargé du renouveau productif, avec une partie des missions relevant du ministère des Finances.

En cas de victoire le 6 mai, la gauche aura tous les pouvoirs. Comment éviter l’Etat PS ?

Je rappelle qu’il y a des élections législatives en juin et des élections locales en 2014. Les Français choisiront ! J’ai suffisamment dénoncé l’Etat UMP pour ne pas en tirer toutes les conclusions. Je me suis engagé à changer profondément les règles de nomination dans toutes les instances de régulation et au sommet du pouvoir. L’impartialité et l’exemplarité de l’Etat, l’indépendance de la justice seront garanties. En revanche, la cohérence dans l’action entre Etat et collectivités locales sera une opportunité pour poursuivre les mêmes objectifs (soutien aux PME, formation professionnelle, développement des universités, transports, transition énergétiqueà). Je suis conscient qu’être majoritaire ne doit pas conduire à décider de tout. L’opposition doit être respectée, elle sera régulièrement consultée, avant chaque Conseil européen ou sur les grands débats, comme celui que nous ouvrirons sur l’énergie. La démocratie en France n’est pas que politique. Elle est aussi citoyenne et sociale. Le candidat sortant n’a que condescendance à l’égard des corps intermédiaires. Moi, je respecterai les partenaires sociaux. Je sais que la réussite suppose de mettre la société en mouvement. Je rencontrerai régulièrement les dirigeants des grandes entreprises françaises pour partager ensemble les objectifs du redressement productif de notre pays. Les Allemands le font, quelle que soit la sensibilité de leur gouvernement.

On vous reproche souvent de ne pas savoir dire non. Que refuseriez-vous à Jean-Luc Mélenchon ?

Ses intentions sont généreuses, mais chacun connaît nos marges de man£uvre. Si les électeurs me portent au second tour – et je les appelle à le faire en me donnant la force nécessaire -, j’écouterai les messages du premier tour et je rassemblerai toute la gauche et au-delà. L’élection présidentielle, ce n’est pas une négociation entre partis. C’est une dynamique qui se crée, c’est un mouvement qui se lève, c’est un espoir de changement qui unit.

Que répondez-vous à la droite, qui vous raille pour ne jamais être allé en Chine ?

Je ne savais pas que pour devenir président de la République il fallait maintenant avoir un visa d’un pays étranger et livrer la liste de ses visites. Il est vrai que, premier secrétaire du PS, je n’ai jamais eu d’accord avec le Parti communiste chinois, comme l’a fait l’UMP !

A quand remonte votre dernière colère ?

Contre des journalistes ? Je laisse cela à d’autres. Mais la colère m’a saisi la semaine dernière, à Clichy-sous-Bois, au Chêne-Pointu, là où avaient éclaté les émeutes en 2005. Des tours délabrées, plus d’ascenseurs en marche ni d’eau chaude, des jeunes apportant le ravitaillement à des personnes âgées condamnées à l’enfermement, au dixième étage. Oui, ça, c’est insupportable dans la France du XXIe siècle !

Un mot pour définir votre caractère ?

Tenace.

Détestez-vous Nicolas Sarkozy ?

Non. La détestation est une perte de temps. Nous avons commencé l’entretien avec une parole de François Mitterrand. Une grande qualité, pour mener campagne, c’est l’indifférence aux attaques. Ce conseil, deux hommes qui ont réussi à devenir présidents [NDLR : Mitterrand et Chirac] me l’ont confié.

PROPOS RECUEILLIS PAR CORINNE LHAÏK, ERIC MANDONNET ET MARCELO WESFREID

 » Que retiendra- t-on de Nicolas Sarkozy ? Un réflexe, plus qu’une réflexion « 

 » Je suis favorable à l’élection d’un cinquième de l’Assemblée nationale à la proportionnelle « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire