La crise est-elle derrière nous ?

La situation financière se stabilise. Mais l’économie mondiale n’échappera pas à un fort recul de la croissance, voire à une récession. Et déjà pointe une autre menace : la spéculation sur les matières premières.

C’est le plus ancien mont-de-piété du Maryland, fondé en 1919 à Baltimore – avant même la Grande Dépression – et, aujourd’hui, comme tous les prêteurs sur gages, le vénérable établissement retrouve un regain d’activité. Ebranlés par la crise, de plus en plus d’Américains viennent déposer ici leurs  » bijoux de famille  » en échange de quelques dollars pour payer le loyer ou la facture d’électricité. La plus importante puissance économique mondiale a perdu de sa superbe. Voilà un an, elle encaissait les premières secousses d’une crise immobilière. A présent, elle est menacée d’une récession profonde. Et le mal, telle la gangrène, s’est propagé au reste du monde. Hier, le choc des subprimes ; aujourd’hui, les émeutes de la faim.

Et demain ? Le pire est-il derrière ou devant nous ? Depuis quelques semaines, les marchés boursiers se veulent optimistes. Mais leur rebond reste fragile. La crise, de fait, est encore loin d’être soldée, même si, sur le plan financier, les économistes, s’accordent à penser que  » sa phase aiguë est achevée « . Parce que les banques centrales ont fait le nécessaire : par sept fois, depuis le 18 septembre 2007, la Réserve fédérale a ainsi baissé son principal taux directeur. Parce que les gouvernements, même les plus libéraux, ont évité les faillites bancaires et, par là, tout risque systémique.

 » Mais si la situation s’est stabilisée, il n’y a aucune amélioration sur le marché interbancaire et la confiance n’est pas revenue « , relève Mathilde Lemoine, chef économiste chez HSBC. Concrètement, ce sont encore les banques centrales qui jouent les prêteurs en dernier ressort. Pour Jean-Michel Six, chef économiste pour l’Europe chez Standard & Poor’s, il faut revenir à l’origine de la crise :  » Elle a été provoquée par la déconfiture de l’immobilier américain. Or ce secteur est encore loin d’avoir touché le fond. « 

Désormais, surtout, l’économie réelle est bel est bien contaminée, comme en témoigne l’accumulation de créances douteuses résultant de la détérioration de la conjoncture. Autre mauvaise nouvelle : la montée des pressions inflationnistes. Dans son dernier bulletin, le groupe Euler Hermes dresse un bilan préoccupant. Pour le premier assureur crédit,  » la croissance mondiale est fortement menacée  » et  » les perspectives sont nettement assombries « . Le ralentissement de l’économie est enclenché et, à présent,  » la seule question qui fasse débat concerne son ampleur et sa durée « . Plus précisément, aux Etats-Unis,  » la crise s’enracine « . Les cadeaux fiscaux du plan Bush, évalués à quelque 168 milliards de dollars, ne permettront pas d’éviter cette année une forte décélération du PIB, de l’ordre de 1 %. Même constat pour la zone euro où un  » sérieux coup de frein  » est attendu.  » La crise ne fait qu’arriver, précise Mathilde Lemoine. Il y a toujours un temps de décalage pour qu’elle traverse l’Atlantique, que j’estime à 2 trimestres pour la zone euro. « 

Les matières premières,  » la dernière table où l’on joue « 

A l’évidence, l’économie va entrer – au mieux – dans une phase de convalescence,  » une période d’assainissement et de restructuration « , précise Michel Aglietta, professeur d’économie à Paris X. Mais déjà un autre péril guette : la formation d’une autre  » bulle « , liée, cette fois, à la flambée des prix des matières premières et du pétrole en particulier, justifiée par les besoins accrus des pays émergents mais aussi tirée par la spéculation qui y voit un nouvel eldorado.  » Ce marché est devenu la dernière table où l’on joue « , commente Jean-Michel Six. Certains groupes financiers, comme le belge KBC, proposent déjà des placements dont les rendements sont connexes aux cours des denrées alimentaires (voir Le Vif/L’Express du 16 mai 2008). La crise d’après-demain s’annonce tout aussi dangereuse. Et parfaitement immorale.

Bruno Abescat, Eric Chol et Benjamin Masse-Stamberger

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