La confusion des rôles

A entendre les avocats, on ne sait plus qui défend qui et quoi. Le volet du procès d’Arlon sur le calvaire de Julie et de Melissa accroît la méfiance envers les institutions. Un but politique délibérément recherché ?

La cinquième semaine du procès Dutroux a présenté de troublantes analogies avec certains épisodes de la commission parlementaire d’enquête présidée par Marc Verwilghen (VLD) en 1996 et 1997. Les anciens gendarmes René Michaux, Jean Lesage et Jean-Marie Gilot ont fait leur réapparition, ainsi que le  » péjiste  » Daniel Lamoque, responsable û en titre, seulement û de l’enquête sur la disparition de Julie Lejeune et de Melissa Russo, en juin 1995. Le procureur du roi Michel Bourlet, Jean-Denis Lejeune, les avocats de Laetitia Delhez, Georges-Henry Beauthier et Jan Fermon, ont trouvé sans difficulté le ton des parlementaires inquisiteurs, supérieurs ou patelins, pour éprouver un René Michaux en bien meilleure forme qu’il le fut alors. En huit ans, les données du problème n’ont guère évolué. René Michaux vit dans le cauchemar de cette perquisition ratée du 13 décembre 1995, où il a imposé le silence à un collègue, alors que des  » chuchotis  » d’enfants étaient audibles dans la cave de Marcinelle. Il a fouillé la maison pour voir d’où venaient ces bruits. S’est satisfait de l’explication des jeux d’enfants de la voisine sur le trottoir, non loin du soupirail. Après coup, le serrurier qui l’accompagnait, Alain Lejeune, est, lui, beaucoup plus tranchant :  » J’ai entendu distinctement les voix de deux petites filles qui parlaient ou jouaient, l’une disant deux ou trois mots en français que je n’ai pas compris, l’autre lui répondant par une monosyllabe. Si on sait qu’on cherche un ou des enfants, on ne ressort pas de cette cave « , proteste-t-il.  » J’en rêve toutes les nuits « , dit Michaux, tourné vers le papa.  » Ça ne m’arrange pas « , lui renvoie Jean-Denis Lejeune.

La perquisition ratée. Les circonstances de l’enlèvement des deux fillettes de Grâce-Hollogne. Les conditions de leur séquestration et de leur mort. La contestation du juge d’instruction. L' » affaire Julie et Melissa  » a été, de nouveau, au c£ur des débats. Les parents Russo sont absents. Mais le ministère public, la défense de Marc Dutroux, en la personne de Me Xavier Magnée, ainsi que celle de Laetitia Delhez apportent un renfort de poids à Jean-Denis Lejeune dans la démonstration que l’instruction a négligé certaines  » pistes « .

Plusieurs versions

Les enquêteurs ont validé le témoignage de Marie-Louise Henrotte, une septuagénaire aujourd’hui très malade, dont l’audition a été lue à l’audience. Elle se postait chaque jour, à la même heure, à sa fenêtre et a vu distinctement deux petites filles monter à l’arrière d’une voiture dont la porte avait été ouverte par le conducteur, de taille moyenne, reconnaissable à sa  » bonne touffe de cheveux « . Le déclic ne se produit que quelques jours après la disparition, devant le journal régional déployé sur la table de la cuisine et qui montre les petites.  » C’est elles !  » Mais la vieille dame insiste :  » Ce n’était pas un enlèvement.  » Pas de violence. Sa fille et son gendre, qui vivaient avec elle, insistent sur la fiabilité de sa mémoire. Le timing est confirmé par l’heure de départ des petites, donné avec précision par Carine Russo, avec la permission de laquelle elles ont quitté la maison pour  » aller dire bonjour  » aux voitures, du pont de l’autoroute E 25 Liège-Namur. Sur le chemin, avant d’entrer dans le champ de vision de Mme Henrotte, les enfants ont encore croisé un jeune couple. Après 17 heures, ce samedi 24 juin 1995, plus personne ne les a vues. Trois témoins (quatre, si on y ajoute Carine Russo), dont les déclarations spatiales et temporelles concordent, ont pesé davantage que l’exercice de la chienne pisteuse qui a mené son maître, Paul Jacquet, sur le pont de l’autoroute et dans les taillis bordant celui-ci. Pour le juge d’instruction Jacques Langlois, la chienne, déposée en voiture à proximité et dans la direction du pont, a suivi l’odeur de Louisa Lejeune qui, avec Carine Russo, a refait le chemin supposé de leurs filles, le soir de la disparition. Le maître-chien est formel : après avoir refusé un vêtement de Melissa présenté par Gino Russo et, donc,  » pollué  » par son odeur, il a saisi avec des pinces la taie d’oreiller de Julie, dont le lit était défait, soutient-il. Dans une audition du 4 avril 2000, Louisa Lejeune admet qu’elle a peut-être remis la couette, ce qu’elle a redit honnêtement, le 29 mars, devant la cour, en demandant toutefois qu’on tienne compte du témoignage du maître-chien, plus affirmatif.

Quelle importance que Julie et Melissa aient été enlevées rue de Fexhe (le témoignage de Mme Henrotte) ou sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute ? Elles se sont retrouvées le soir même chez Marc Dutroux, d’après le témoignage de Michelle Martin, qui dit que son mari était obsédé par l’idée d’avoir des filles à sa disposition, dans la cache qu’il préparait à cet effet et dont il avait parlé à des paumés de la région de Charleroi. C’est dans la propriété de Martin, à Sars-la-Buissière, que les pauvres petits corps ont été retrouvés. Mais, pour les parents Russo et Lejeune, l’enlèvement près de l’autoroute permet de raccrocher leur drame aux agissements supposés d’un Hutois au comportement et aux propos bizarres, Michel F., intendant d’un camp auquel les petites filles avaient participé, l’été précédent, ainsi qu’à des tentatives d’enlèvement signalées, dans la région liégeoise, le jour de la disparition de Julie et de Melissa. Des témoignages dûment vérifiés, qui ne  » collent pas avec les éléments du dossier « , a dit Langlois. Ils donnaient corps, cependant, à l’idée que les petites filles avaient pu être les victimes, non d’un  » pervers isolé « , mais d’une bande criminelle les ayant repérées et choisies à dessein pour alimenter un réseau pédophile. La question de leur survie, avec quelle quantité d’eau et de nourriture, que l’audition des accusés et des experts nutritionnistes n’a pas permis de clarifier, laisse le champ libre aux interprétations. Me Beauthier, le 18 mars :  » Soit quelqu’un est venu les ravitailler û mais qui ? û, soit elles n’étaient pas dans la cache û mais où ? û, soit elles étaient déjà mortes le 20 mars.  »

L’instruction, massivement construite, ne laisse guère de place aux fantasmes. En revanche, elle recèle des parts d’ombre indéniables, inévitables, sans doute, dans ce genre d’affaires criminelles. Personne, à ce jour, n’a opposé à Jacques Langlois une  » thèse  » qui contredirait la somme des certitudes accumulées dans son dossier. Seul le juge, en fonction de sa mission légale, a enquêté à charge et à décharge. Le procureur du roi Michel Bourlet, Mes Magnée, Fermon et Beauthier û qui agissent parfois comme s’ils étaient les avocats mandatés par les parents de Julie et de Melissa û ne soulèvent que des questions en forme de coups de bec, destinées à instiller le doute dans l’esprit des jurés qui, par le vote, et en fonction de leur intime conviction, établiront la  » vérité judiciaire « .

La fermeté û fermeture, disent certains û du dossier d’instruction oblige les avocats à emprunter des voies parallèles pour tenter d’éroder celui- ci. Après la critique des personnes, la critique des institutions : Jan Fermon, en particulier, revient sur les responsabilités de l’état-major de l’ancienne gendarmerie dans l’échec de l’enquête sur la disparition de Julie et de Melissa, en omettant de rappeler que  » les parents « , en 1995 et 1996, même après la découverte de l’  » opération Othello  » (enquête parallèle sur Marc Dutroux), concentraient toutes leurs attaques contre la  » justice de classe  » liégeoise et, en particulier, la juge d’instruction aujourd’hui défunte, Martine Doutrèwe. De la représentation des parties civiles ou d’un accusé û Dutroux, qui se complaît dans la théorie des  » réseaux  » et des  » protections  » û on glisse au jeu de massacre, en refaisant, avec les moyens du pauvre, l’enquête sur l’enquête. C’est une stratégie pour noyer le poisson. Tôt ou tard, avec son déroulement très particulier, lent mais tourné vers son épilogue, la cour d’assises reviendra aux quatre accusés.

Marie-Cécile Royen

Les  » certitudes  » du dossier Langlois ne sont pas contredites, malgré des parts d’ombre

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