La communauté des exclus

Un mouvement encore embryonnaire, parti de la base, tend à faire des prisons le carrefour des injustices de la société.

Après avoir vu le film de Jacques Audiard, Un prophète, Fadela Amara, secrétaire d’Etat à la Politique de la ville, en France, clame son admiration et sa crainte :  » Ce film va remplacer le Scarface avec Al Pacino dans les cités.  » Le microcosme carcéral sert, en effet, d’incubateur à Malik (Tahar Rahim), une petite frappe de 19 ans qu’un parrain corse sur le déclin (Niels Arestrup) prend sous son aile pour le meilleur et pour le pire ( lire le magazine Focus de cette semaine).

Dans le rôle de Malik, Tahar Rahim est éblouissant d’intelligence et d’ambiguïté. Un modèle ?  » Les jeunes qui sortent de prison jouissent d’une aura dans les quartiers « , admet Nordine Saïdi, tête de liste de la petite formation Egalité (gauche radicale, propalestinienne), qui a recueilli 1 % des suffrages bruxellois aux dernières élections régionales.  » Mais, ajoute-t-il, l’incarcération d’un proche reste un sujet tabou. On ne voit plus Untel ? Il est en voyage, répond sa famille. La honte est vécue en secret. Dans la culture marocaine, il n’est pas question d’abandonner un fils ou un frère. Alors, les femmes, surtout, s’organisent pour leur rendre visite chaque semaine. Elles leur apportent de la nourriture, de l’argent pour cantiner ou se protéger. Quand les détenus purgent leur peine à Ittre ou à Andenne, toute leur journée y passe.  » Les gardiens redoutent autant qu’ils se réjouissent de ces visites qui permettent d’introduire en prison des GSM, de la drogue, voire des plans d’évasion.  » Les mères conseillent plutôt à leurs fils de rester calmes pour sortir plus vite « , conteste Nordine Saïdi.

Solidarité avec les détenus

Toute cette souffrance déborde des murs d’enceinte. En septembre 2006, les Marolles ont connu deux nuits d’échauffourées après la mort, à la prison de Forest, de Fayçal C., 25 ans, auquel une surdose de calmants avait été administrée. Nordine Saïdi ne remet pas en cause le principe de la peine pour les délinquants mais bien les injustices qui y conduisent (écoles-poubelles, racisme…). L’expérience carcérale alimente en permanence un sentiment de révolte. Samira Benallal a fondé l’ASBL DéClik pour éviter que d’autres ados suivent le chemin de son frère, Nordin, l’  » ennemi public n° 1 « , le  » roi de l’évasion « . Elle le défend aveuglément. Le frère d’Ashraf Sekkaki, l’un des trois évadés de la prison de Bruges, arrêté au Maroc le 9 août dernier, a également témoigné en faveur de son frère dans les médias flamands.  » Sekkaki n’a pas de sang sur les mains, s’indigne Nordine Saïdi. La Belgique l’abandonne au Maroc où l’on pratique la torture, alors qu’il s’agit d’un citoyen belge. « 

En plaçant les prisons en tête de ses priorités, le parti Egalité (qui a récemment créé du grabuge sur les marchés en incitant les commerçants à ne plus vendre des dattes made in Israel) a bien senti qu’un embryon de  » communauté des exclus  » se formait autour des enceintes carcérales. Est-ce pour cette raison que Luk Vervaet, également d’Egalité et président de l’aile belge de l’IUPFF, un lobby pro-iranien qui défend le retrait du Hamas et du Hezbollah de la liste des organisations terroristes, vient d’être déclaré persona non grata dans les prisons du Royaume ? Il donnait, depuis cinq ans, des leçons de néerlandais à la prison de Saint-Gilles.  » J’étais sur la liste des visiteurs de Nizar Trabelsi, que j’aidais à écrire sa vie, reconnaît l’enseignant, mais je n’ai jamais fait entrer quoi que ce soit d’illicite ni aidé quelqu’un à s’évader. Mais je suis opposé à l’extradition de Trabelsi vers les Etats-Unis.  »

Marie-Cécile Royen; M.-C. R.

 » Sekkaki n’a pas de sang sur les mains « , s’indigne Nordine Saïdi

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