La comédie du bonheur

La saga d’une famille québécoise éprise de liberté racontée par Marie Laberge, ancienne actrice, douée d’un vrai sens dramatique

Le Goût du bonheur, par Marie Laberge. T. I : Gabrielle. T. II : Adélaïde. Anne Carrière, 624 et 672 p. (T. III : Florent, à paraître en octobre.)

Elle est solaire, Marie Laberge. Son pays, c’est l’hiver, mais ses personnages ont le c£ur chaud et Le Goût du bonheur. Ils ont du mérite : au Québec, en 1930, si la terre est gelée, la morale est frileuse. L’amour ? Conjugal, ou condamné. Ces années-là, le devoir est mieux considéré que la liberté d’esprit et de corps, Le N£ud de vipères, de François Mauriac, est mis à l’index. Dans ces conditions, quand on est une femme, comment vivre plutôt que survivre, refuser d’être brisée par les conventions pour entrer dans le moule ? Gabrielle, premier tome de la trilogie domestique signée Laberge, à sa manière, donne l’exemple.

Gabrielle, mariée depuis 1920 à Edward, avocat d’affaires de mère américaine, cinq enfants. En ville comme sur l’île d’Orléans des vacances d’été, elle gère au mieux ses plaisirs et ses aspirations, méprise les codes stricts, violente les tabous. L’Eglise tique, les voisins jasent, la parentèle fronce les sourcils. Gabrielle n’imposera pas sans mal sa manière d’être et de penser. Grâce à ses deux mots d’ordre : colère et révolte. Sa fille Adélaïde perpétuera la tradition féministe : dans le deuxième volet, Adélaïde la sauvage affirme de 1942 au c£ur des années 1950 la force de ses désirs ; son fils Florent montrera, durant les années 1960, qu’on peut être un mâle sans se conduire en macho.

A travers la famille Miller, c’est toute l’histoire de la Belle Province qui se déploie en cinémascope, avec la guerre et la domination anglaise, le rigorisme imposé, l’hypocrisie générale. Vaste ambition. Mais comment fabrique-t-on une saga sans qu’elle ait l’air fabriqué ? Marie Laberge a été comédienne, elle écrit pour le théâtre ; en France, Jean-Pierre Miquel découvrit Oublier, que Daniel Benoin monta à Paris au Vieux-Colombier ; L’Homme gris fut également représenté avec succès. Son sens dramatique explique sans doute l’aspect extraordinairement vivant, contrasté, généreux, rythmé de sa fresque : 500 000 exemplaires vendus au Québec, pour une population de 6 millions de francophones. Ce sont les Jalna de la cause des femmes et du boom économique. l

Michel Grisolia

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