La centenaire

Sur le lit tiré au cordeau et qu’elle fait seule, tous les matins, reposent quelques peluches. La télé en noir et blanc fonctionne, presque sans son. Marie-Louise Quagebeur vit depuis plus de vingt ans aux Fondations Réunies, un home du CPAS, situé au centre-ville de Bruxelles.  » Je n’entends plus trop bien, mais j’arrive encore à voir. Et souvent, c’est moi qui pousse les fauteuils des autres jusqu’à la salle à manger.  » Le 30 novembre dernier, elle a eu 100 ans. Sur une table trône la photo du roi et de la reine, reçue à cette occasion. D’un tiroir, elle sort la broche argentée offerte aussi par la chef des infirmières. Sur les murs, on trouve des photos de la famille royale, découpées dans un magazine.

Depuis longtemps, Marie-Louise ne sort plus de cette maison de retraite. Mais elle y a passé les plus belles années de sa vie. Car ici, elle est bien, répète-t-elle avec insistance. Bien soignée, bien traitée, entendue dans ses (très modestes) demandes. Et puis, regardez comme c’est propre ! Autant de choses qui comptent, et pas qu’un peu, pour cette femme née en France, ancienne enfant de l’assistance, bonne à tout faire, puis patronne, avec son mari, titre qui lui a valu de fabriquer des matelas, et plus souvent quinze heures par jour que huit, en toute saison, durant plus de trente ans. Une vie rude à la tâche : très peu de voyages, pas de congés, ou presque.

Age oblige, elle n’a plus de famille, mais une amie vient encore la voir. C’est sa vie. Elle ne s’en plaint pas. Elle regrette juste l’ancien cuisinier du home. Son successeur  » devrait plutôt aller travailler en prison « , lance-t-elle, la (fausse) dent dure. En ce qui la concerne, elle se dit qu’il lui reste, peut-être, encore cinq ans…  » A part mes poumons, je vais bien. Ensuite, on n’aura qu’à m’incinérer et à donner mes cendres aux oiseaux.  »

Les chiffres de l’Institut national de statistique indiquent qu’en 2001 on comptait moins de 1 000 centenaires dans notre pays, où la moyenne d’âge se situe à 39,8 ans. Mais, compte tenu de l’accroissement de l’espérance de vie, d’ici à 2050, plus de 8 000 centenaires devraient vivre parmi nous. Avec ou sans leurs enfants, septuagénaires ou octogénaires qui seront, eux aussi, en nombre croissant. Actuellement, plus de 22 % des Belges ont 60 ans ou davantage.

 » Entre 60 et 80 ans, les personnes du troisième âge sont le plus souvent en bonne santé et, après leur retraite, elles mènent une vie active. Ensuite vient le quatrième âge, et le risque de dépendance s’accroît. Néanmoins, à 80 ans, nos parents ne peuvent être comparés à nos grands-parents au même âge, mais plutôt à ce qu’ils étaient à 70 ans. Ignorer ces changements conduit à une exagération des besoins et noircit démesurément les effets du vieillissement « , rappelle le sociologue Michel Poulain, professeur à l’UCL, membre du FNRS et du Gedapt. Malgré tout, depuis trente ans, nous nous trouvons sous le seuil de renouvellement des populations.  » Le défi essentiel est de savoir qui prendra soin du nombre grandissant de personnes âgées et ce, même si elles restent indépendantes de plus en plus tard. Le tissu de solidarité familial se restreint, aussi bien quantativement, faute d’enfants, que qualitativement, parce que ceux-ci sont moins disponibles ou moins enclins à prendre soin de vieux parents. Qui prendra le relais ? Des proches en dehors du réseau familial ? L’Etat ? Des volontaires ?  »

Dans le couloir du home où vit Marie-Louise, un jeune homme, casque de moto à la main, accompagne une dame très âgée.  » C’est son petit-fils, glisse la réceptionniste : ils sont trois frères et viennent tous les jours voir leur grand-mère. Je n’ai jamais vu les parents.  »

Aujourd’hui, Marie-Louise s’inquiète pour une nouvelle entrante, une dame qu’elle juge charmante mais qui demande, déjà, à partir d’ici.  » Elle n’est pas encore habituée… Dites, vous savez que les princesses vont avoir des bébés ? Moi, j’aimais bien l’ancienne reine. Comment s’appelait-elle déjà ?… Mais non, pas Fabiola ! Astrid, voilà, c’était Astrid.  » Il suffisait d’y penser ou de réfléchir comme Marie-Louise, 100 ans, toute sa tête. Et qui, jadis, a lu à sa nourrice, analphabète, les exploits de l’ennemie publique n°1 de l’époque : la Bande à Bonnot.

Pascale Gruber

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