La Belgique à la pointe de la lutte contre la piraterie maritime

Avec l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Espagne, la Belgique est le seul pays européen qui a obtenu, sur son sol, la condamnation d’un pirate somalien. Une absurdité ?

Professeur de droit international public aux Facultés universi-taires Notre-Dame de la Paix et aux Facultés Universitaires catholiques de Mons, à Namur, Louis le Hardy de Beaulieu est le spécialiste belge des aspects juridiques de la lutte contre la piraterie maritime. Entretien.

Le Vif/L’Express : N’est-il pas assez absurde qu’un jeune pirate somalien capturé dans le golfe d’Aden par notre marine soit jugé et détenu en Belgique, si loin du théâtre de ses méfaits ?

Louisle Hardy de Beaulieu : Dans un premier temps, un certain nombre de pays occidentaux s’étaient arrangés avec le Kenya et, accessoirement, les Seychelles pour que les pirates somaliens soient jugés devant leurs tribunaux, puisqu’il n’y avait plus personne pour le faire en Somalie, l’Etat ayant implosé. Au début, cela a bien fonctionné et puis, la charge financière est devenue trop importante pour ces pays. Puisque le Kenya se trouvait en difficulté, fallait-il déposer les pirates sur les côtes et ne plus s’en occuper ? Cela aurait envoyé un très mauvais signal aux responsables mafieux qui tirent des revenus considérables de cette activité criminelle !

Ce n’est pas la seule morale qui a guidé les pays occidentaux. L’enjeu est aussi d’ordre stratégique…

Plusieurs raisons entrent en ligne de compte, en effet. La première est que ces pirates opèrent sur une des routes maritimes les plus fréquentées du monde. Si on les laisse faire, cela aura un impact sur nos importations et nos exportations, qui vont être grevées des coûts supplémentaires liés aux assurances ou à l’allongement des itinéraires visant à éviter une éventuelle zone de non-droit. Ce ne serait bon ni pour nos pays ni pour ceux avec lesquels nous commerçons car ce surcoût risque d’être répercuté sur le consommateur final, de peser lourdement sur la santé économique des entreprises et d’engendrer des répercussions sociales négatives. La deuxième raison de notre intervention est humanitaire. Dans les années 1960 et 1970, le niveau de vie en Somalie était assez honorable pour la région. La guerre civile a joué un rôle épouvantable. Les Somaliens ont un besoin vital de l’aide du Programme alimentaire mondial. Or les navires du PAM ont été souvent attaqués – un peu moins ces deux dernières années. Néanmoins, ils doivent toujours être accompagnés jusqu’à quai. Enfin, dernière raison, à la fin de la guerre froide, après que la Russie a déserté cette région où elle avait ses relais (Mogadiscio), les grandes puissances ont également baissé la garde. Seule exception, la France, qui a des territoires dans l’océan Indien. Lorsque l’Etat somalien s’est effondré, il n’y avait plus personne pour lutter contre la piraterie et tous les autres trafics en mer : drogue, armes, traite des êtres humains… Mais le mouvement commence à s’inverser car, depuis quelques années, la zone a été réinvestie par les grandes puissances, dont la Chine qui a beaucoup d’intérêts en Afrique et qui a développé une Blue Water Navy, une marine de haute mer.

En quoi cela intéresse-t-il la petite Belgique, qui n’est tout de même pas une énorme puissance maritime mais qui participe quand même à l’opération Atalante de police mari-time européenne ?

Au fond, et ce raisonnement est partagé par tous les milieux (maritimes, Affaires étrangères, Défense, Justice…), en intervenant de manière fort modeste mais assez efficace, nous obtenons notre ticket d’entrée dans un système de protection multilatéral des intérêts de la communauté internationale, dont nos navires bénéficient. Nous participons aussi à une logique de reconstruction politique de la zone.

Mais avions-nous les moyens juridiques de poursuivre ce jeune pirate somalien capturé en novembre 2010 par la frégate belge Louise-Marie ?

Notre législation en matière de piraterie maritime date de 1849. Elle a été revue en 1928, puis une seconde fois en 2009. Elle permet de poursuivre des pirates en Belgique pour autant qu’il y ait un lien de rattachement : victime belge, navire battant pavillon belge, etc. Ce pirate somalien jugé à Bruxelles a été arrêté en compagnie de sept autres, qui n’avaient pas vocation à être poursuivis en Belgique. Le jeune pirate avait, lui, été reconnu par trois membres d’équipage du Pompéi attaqué en avril 2009. Deux d’entre eux se sont constitués parties civiles à la suite des mauvais traitements subis en captivité. Sa condamnation à dix ans de prison est un signal envoyé aux pirates qui font un ranking des pays auxquels il vaut mieux ne pas trop se frotter.

Mais la piraterie est-elle affaiblie pour autant ?

Les Belges ont été un peu pionniers dans ce domaine, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi une approche politique. L’Union européenne jouit d’une meilleure réputation que d’autres puissances en Afrique australe, notamment en raison des anciens accords ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), qui offrent un traitement commercial préférentiel à ces pays. Elle peut jouer un rôle de soft power, en impliquant les organismes et les Etats régionaux. La clé réside dans une coopération locale. C’est largement ainsi qu’on est parvenu à mettre fin à la piraterie qui sévissait au large de l’Asie du Sud-Est, même si celle-ci n’avait pas atteint le même niveau que celle de l’océan Indien.

La piraterie somalienne a-t-elle une dimension religieuse ?

Ce n’est pas certain ; à tout le moins, il n’en existe pas de preuve évidente aujourd’hui. Lorsque la Somalie a été aux mains des tribunaux islamiques, la piraterie a été réprimée plus sévèrement. Mais on ne peut exclure que le produit de certaines attaques en mer, l’argent tiré du pillage des navires commerciaux, des rançons d’otages, des trafics qui se greffent sur la piraterie (drogue, armes, traite des êtres humains) soient  » recyclés  » dans des réseaux nébuleux et finissent pour partie à contribuer au financement d’organisations terroristes.

Dans son rapport au Conseil de sécurité de l’ONU, en janvier dernier, Jack Lang affirmait qu’une douzaine de chefs de clan étaient derrière ces attaques. De fait, si les commanditaires sont connus, pourquoi n’entreprend-on rien contre eux ?

Encore faut-il en apporter la preuve ! Ils forment une espèce de maillage très complexe sans contacts faciles à établir entre les niveaux intermédiaires. Cela n’aide pas l’accusation, d’autant qu’ils détiennent encore des otages (NDLR : 420 selon un récent rapport international) dont la vie pourrait être mise en danger. On en revient toujours au même point : il faut que les Somaliens, avec une aide internationale et régionale, reconstruisent leur Etat et soient en mesure de juger les pirates, dans le respect de règles de droit acceptables. Le travail à réaliser en amont est considérable, y compris sur les mentalités. Ainsi, quand des pirates sont arrêtés, ils s’attendent à être passés par les armes et témoignent parfois d’une incompréhension par rapport à ces gens qui les déposent vivants sur les côtes… Les Occidentaux ne peuvent pas réaliser, seuls, ce travail sur les mentalités. Même les pays de la Ligue arabe ne sont pas toujours bien acceptés en Somalie. Ma conclusion : il faut une coopération locale sur le terrain, impliquant fortement des pays d’Afrique noire.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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