La bataille des communales

A Tournai, jamais les élections communales n’ont été aussi passionnantes. D’abord, parce que le scrutin du 14 octobre promet la montée au pouvoir d’une nouvelle génération. Ensuite, en raison de l’importance de la conjonction de changements et d’incertitudes politiques.

La première de ces données, c’est la présence de Rudy Demotte à la tête de la liste PS de Tournai. Adoubé président de l’Union socialiste communale (USC) l’an dernier, le ténor se refuse à imaginer qu’il débarque en terrain conquis, même si ses scores aux dernières élections fédérales en font l’un des poids lourds.

A Tournai comme ailleurs, il ne suffit pas de décréter qu’on sera candidat à la tête de la liste dominante pour s’assurer d’emporter le mayorat. Marie Arena en a fait les frais à Binche comme Laurette Onkelinx à Schaerbeek. Le ministre-président de la Région wallonne se montre d’autant plus prudent qu’il a déjà essuyé un échec à Tournai en 1999 quand il pensait y établir sa nouvelle assise électorale. A l’époque, la route du mayorat lui est barrée par le clan de Christian Massy, dans lequel compte déjà un certain Paul-Olivier Delannois – Paul-O comme il est surnommé par la presse quotidienne régionale – influent et populaire auprès de sa base. Les rapports ont changé : frères ennemis hier,  » Demotte et Delannois ont su retrouver un terrain d’entente et de confiance mutuelle alors que les relations avec le bourgmestre sortant Christian Massy ne cessent de se dégrader  » , rapportent des militants. Pas d’accord secret toutefois entre les nouveaux alliés : le leader du PS entend confier les clés de la ville à un bourgmestre faisant fonction légitimé par son score.  » L’intérim sera donc exercé par celui ou celle qui aura réussi le meilleur résultat derrière moi « , dit-il.

Partout où cette règle n’a pas été appliquée, des problèmes se sont posés. Demotte est-il pleinement convaincu de son succès ? Personne, au PS de Tournai, ne veut imaginer que le candidat de tête pourrait être battu par un de ses colistiers.  » Traditionnellement, c’est le premier de notre liste qui l’emporte « , insistent des cadres du parti. Il devra triompher haut la main pour s’imposer comme le patron incontesté. Pour gagner ses galons de  » bourgmestre au-dessus de la mêlée « .

Comme Di Rupo à Mons

Pas question, pour autant, de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Attendu à Tournai où il aime serrer des mains et prendre des bains de foule, Rudy Demotte parle de sa ville avec enthousiasme. Il y a débuté sa carrière professionnelle, obtenu son premier stage Onem à la bibliothèque avant son premier job au Centre d’études et de recherches pour la technologie.  » C’est là aussi que j’ai fait mes premiers pas politiques au sein de la fédération des JS, avant de prendre la présidence fédérale du parti, rappelle-t-il. Aujourd’hui, j’y travaille activement au développement économique, j’y porte le projet d’eurométropole avec Lille et Courtrai.  » Mieux : il y est présent à travers des membres de son équipe introduits à l’hôtel de ville.

En bon commandant de bord, il mobilise les troupes, soigne la préparation de la campagne et du programme qu’il veut largement consensuel avec les citoyens, multiplie les appels aux candidatures pour renforcer la liste, traditionnellement bouclée le 1er mai. Pas question de tromper l’électeur : parce que sa présence à la tête de l’exécutif régional ne l’autorise pas à siéger en même temps comme bourgmestre, il sera candidat en octobre aux mêmes fonctions qu’Elio Di Rupo à Mons ou Paul Magnette à Charleroi.  » Plus personne n’imagine aujourd’hui que, pour être efficace, un bourgmestre doit forcément se trouver derrière son bureau à l’hôtel de ville. « 

Les sortants

C’est clair : l’absence du bourgmestre sortant pèsera dans la campagne. Après deux mandatures, Christian Massy, âgé de 66 ans, estime que le moment est venu de tourner la page politique.  » C’est un choix librement consenti « , insiste-t-il. Il se défend de l’avoir fait sous la contrainte d’une décision judiciaire puisque, dans l’embarrassante affaire du titre de séjour illégal d’un footballeur local, Massy s’était vu reconnu coupable de faux et usage de faux par la chambre du conseil de Tournai.  » Je m’en vais pour consacrer à ma famille tout le temps que je n’ai pu lui donner durant de longues années. Personne ne me l’a imposé « , dit-il. Pas question de remettre son engagement en cause.  » Je suis un homme de parole. En 2000, j’avais dit que je quitterais mon mandat de député et je l’ai fait. Je vous confirme donc que je ne me représenterai plus sur la liste PS.  » Le bourgmestre compte quand même défendre son bilan.  » A travers un soutien de l’extérieur. « 

Troisième donnée électorale : l’abandon du leader humaniste Yves De Greef, deuxième échevin de Tournai.  » J’ai porté mon parti à bout de bras pendant vingt-cinq ans, confie l’homme qui se dit extrêmement déçu, même blessé par l’ingratitude du CDH  » qui le met sur la touche.  » Il a été convenu que Jean-Marie Vandenberghe conduirait la liste à ma place.  » Pour Yves De Greef qui avait fait le double de son score aux dernières élections, il n’est pas négociable d’être relégué derrière, ni même de pousser la liste. Rejoindre un autre parti ? Issu de la démocratie chrétienne d’Alfred Califice et de Philippe Maystadt qui l’avaient recruté en politique, ce progressiste a exercé de hautes fonctions dans l’administration et s’impose comme un travailleur. Si l’opportunité d’une ouverture s’était présentée, il se serait bien vu aux côtés de Demotte – qui l’apprécie beaucoup. Mais ce dernier en a exclu l’hypothèse, poussé – il faut le dire – par la base.

Et les autres

A gauche, Ecolo compte renforcer son ancrage. Les verts détiennent actuellement quatre des trente-neuf sièges au conseil communal. Il leur faudrait une victoire éclatante pour changer la donne et se faire courtiser par le PS.

Que fera Marie-Christine Marghem comme locomotive du MR ? En 2006, la députée et échevine sortante des Finances, issue du MCC comme elle aime à le rappeler, avait coiffé au poteau le bourgmestre lui-même en le battant de 300 voix. Une performance d’autant plus remarquable qu’elle occupait la dernière position de sa liste. A-t-elle perdu de sa popularité en six années d’opposition ou bien en gagnera-t-elle du fait de sa visibilité accrue ? C’est une autre clé du scrutin qui influencera la formation de la future coalition.

Actuellement, le PS détient dix-huit des trente-neuf sièges du conseil communal, mais le président de l’USC de Tournai l’affirme :  » Même si nous sommes en majorité absolue le soir du 14 octobre, nous n’irons pas seuls au pouvoir. Les résultats et, bien sûr, le programme détermineront le choix de notre partenaire « , assure Rudy Demotte. Sur sa liste, un autre combat promet de passionner les citoyens : celui qui opposera les deux membres du couple que forment dans la vie le premier échevin Paul-Olivier Delannois et l’échevine Ludivine Dedonder (en charge de l’état civil), dont la popularité grimpe. Domiciliés à des adresses différentes et donc pas cohabitants légaux, les deux candidats comptent s’investir dans la campagne pour pouvoir s’affronter politiquement devant l’électeur. Ils seront au coude-à-coude sur la liste, elle en quatrième position derrière lui qui suivra la présidente du CPAS Rita Leclercq. Il se dit qu’ils pourraient créer la surprise. Verdict dans quelques mois.

DIDIER ALBIN

Pas question de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué

L’absence du bourgmestre sortant pèsera dans la campagne

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