La Baraque ou la préhistoire de Louvain-la-Neuve
Roulottes, bulles, cabanes en bois… Plus qu’une curiosité, le quartier de la Baraque est avant tout une expérience de vie où liberté rime toujours avec responsabilités…
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Louvain-la-Neuve n’est pas tout à fait une ville née du néant, sortie de terre en rase campagne brabançonne… Elle possède un quartier historique, établi à une centaine de mètres de la dalle et existant depuis la fin du XVIIIe siècle : la Baraque. D’abord inclus dans la commune de Corroy-le-Grand, le lieu a été rattaché à Louvain-la-Neuve dans les années septante, lors de la création de l’université. C’est à cette période que sa quinzaine de maisons traditionnelles a commencé à cohabiter avec quelques habitations plus originales.
Refusant d’occuper les logements clés-sur-porte proposés par l’université, une poignée d’étudiants en architecture ont décidé de créé leur propre habitat à la Baraque. Et pas de n’importe quelle manière… A l’aide de serres récupérées, de bois cordé, de terre-paille et d’autres matériaux et techniques originales, ils ont créé des habitats alternatifs écologiques et proches de la nature. A force de détermination, ces étudiants ont même réussi à obtenir une légitimité auprès de l’université et des autorités communales, qui ont donné au quartier un statut d’habitat expérimental.
Toutes les décisions par consensus
Trente-huit ans plus tard, l’expérience continue et le quartier a pris de l’ampleur. Il faut néanmoins quitter sa voiture et s’enfoncer à pied dans la nature pour découvrir les trois zones du quartier (les bulles, le talus, le jardin) et leurs soixante logements plus originaux les uns que les autres.
Aujourd’hui, la Baraque compte environ 120 résidents, contre 35 en 1978. Mais plus que son nombre d’habitants ou sa densité égale à celle du reste de la ville, c’est la survie de cette zone qui s’avère remarquable. » Le quartier perdure depuis 38 ans alors qu’aucune règle n’est écrite « , souligne Josse Derbaix, un des premiers habitants de la Baraque. » Toutes les solutions sont trouvées en interne, sans aucun outil de répression. Si le quartier dure depuis si longtemps, c’est parce que le bon sens y triomphe toujours. »
Habiter la Baraque ne signifie pas seulement choisir un habitat alternatif, mais aussi un mode de vie différent. Au sein du quartier, les gens organisent eux-mêmes leur vie sociale et leur habitat. Certains ont choisi d’habiter dans des maisons individuelles, d’autres partagent une cuisine ou une salle de bain. Mais les décisions sont toujours prises collectivement, avec un seul mode de fonctionnement : le consensus. » Cela demande beaucoup de temps et beaucoup d’énergie, mais nous arrivons toujours à trouver des solutions à chaque problème, fait remarquer Josse Derbaix. Le fait d’être libre oblige les gens à être responsables d’eux-mêmes, mais aussi de leur environnement et de leurs pairs. »
Un habitat économique
Contrairement aux clichés, les habitants de la Baraque n’ont rien de squatteurs ni de bohèmes en marge de la société. Leurs habitations sont soumises aux règles d’hygiène et de sécurité, ils entretiennent de bons rapports avec la commune et l’université, leurs enfants sont scolarisés… Certains habitants sont artistes mais beaucoup occupent des postes plus traditionnels, souvent dans le non marchand et l’aide aux personnes.
» Comme le coût de l’immobilier du quartier est très bas, les gens ont moins cette contrainte financière et peuvent se permettre de choisir des métiers qui leur plaisent vraiment « , explique Josse Derbaix. Les habitats alternatifs de la Baraque échappent en effet à la folie immobilière du Brabant wallon. Les roulottes, cabanes, bulles et autres logements sont revendus à prix coûtant, moins l’éventuelle usure. Les seules augmentations autorisées sont celles liées à une indexation ou à des travaux d’agrandissement, mais le prix du mètre carré ne peut pas franchir la barre des 250 euros.
Ce n’est cependant pas le seul critère économique qui attire de nouveaux habitants à la Baraque. On y pose souvent ses valises pour adhérer à un autre mode de vie, se rapprocher de la nature, chercher le lien social ou encore posséder la maîtrise de son logement. Le quartier entretient en effet un nouveau rapport avec l’urbanisme. Un rapport où les règles de sécurité sont respectées mais où le citoyen est libre de prendre ses responsabilités. Récemment, la commune a même demandé aux habitants d’établir une proposition de règlement urbanistique de leur quartier.
Presque tout est permis en matière de construction à la Baraque, à condition bien sûr d’avoir obtenu l’aval des autres habitants du quartier. On voit ainsi se développer des habitats très divers (roulottes, bulles, cabanes, bus aménagés,…) qui forment pourtant un ensemble homogène. Presque tous les habitants ont recours à l’auto-construction et favorisent des matériaux bio, naturels ou encore recyclés. Quelques maisons basse énergie ont même fait leur apparition dans le quartier.
De nouveaux voisins
Outre leur mode de vie, les habitants de la Baraque partagent un autre point commun : leur capacité à ne pas juger la différence. Cela amène régulièrement le quartier à accueillir des personnes en errance et à servir de lieu de réintégration. » Hélas, l’expérience n’est pas toujours un succès, reconnaît Josse Derbaix. Comme la contrainte financière est moindre pour habiter dans le quartier, certains se laissent aller à des addictions plutôt que de rebondir. Récemment, c’est la consommation d’alcool qui a été remise en question. Comme chaque quartier, la Baraque a donc ses problèmes, mais elle donne finalement très peu de travail à la police ! »
Le quartier alternatif doit aussi faire face à l’afflux assez fréquent de squatteurs autour de sa zone. On les appelle ainsi car ne s’installe pas à la Baraque qui veut. Les nouvelles constructions sont rares et doivent évidemment être avalisées par l’ensemble des habitants du quartier. Même si le nombre de logements évolue lentement, les mouvements d’habitants restent fréquents et il revient à celui qui part de choisir celui qui le remplacera.
Bientôt, le quartier devra néanmoins s’accommoder de nouveaux voisins puisque le projet Courbevoie prévoit la construction de logements traditionnels tout près de la Baraque. Un chantier qui risque de troubler momentanément la quiétude des lieux mais qui ne remet heureusement pas en question la survie du quartier. De fait, la commune a établi un nouveau plan d’aménagement pour cette zone alternative dont la richesse et la raison d’être ne sont plus à prouver.
Marie-Eve Rebts
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