Le programme d’avion de transport militaire européen n’explosera pas en vol. Mais, quelle que soit la solution pour le sauver, elle coûtera cher au constructeur.
Combler au plus vite un trou de 11,2 milliards d’euros. L’équation sur laquelle planchent depuis jeudi 21 janvier les sept pays clients de l’A 400 M et les dirigeants d’EADS est redoutable. Ils doivent trouver une solution pour poursuivre ce programme dont le coût aurait dérivé de 50 %. Si les dépassements sont courants dans le secteur de la défense, » un tel montant relève du presque-jamais-vu « , reconnaît Loïc Tribot La Spière, délégué général du Centre d’étude et de prospective stratégique.
180 appareils, 20 milliards d’euros
Récapitulons. Soit un programme qui devait être le fleuron de l’Europe de la défense : un avion de transport militaire tout-terrain, conçu pour l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Belgique, le Luxembourg et la Turquie. Un contrat de 20 milliards d’euros (180 appareils), signé, en 2003, par le constructeur EADS, pour lequel cette opération était l’occasion inespérée d’enfoncer un coin dans le monopole de Boeing sur ce marché. Mais aussi de remplir son carnet de commandes et de donner un os à ronger à l’Espagne, pays auquel le groupe européen n’avait accordé qu’un strapontin au capital et n’avait jusque-là confié aucun programme phare.
Après les déboires de l’A 380, l’A 400 M est devenu le nouveau cauchemar d’EADS. Aux fautes originelles – des pays convaincus de devoir payer moins grâce à leur regroupement mais incapables d’aligner leurs requêtes, un contrat à prix fixe, un motoriste imposé pour des raisons politiques et un délai irréaliste de six ans et demi pour la réalisation – se sont ajoutées les erreurs d’Airbus. » Personne n’a accordé à ce programme l’importance requise « , résume un cadre de la maison. L’A 380 occupait toutes les énergies et les compétences. Ce n’est qu’à la fin de 2008 que le management d’EADS reprend les choses en main, resserrant son contrôle sur Airbus Military, doté d’un nouveau patron – Domingo Ureña-Raso, un Espagnol passé par Munich et Toulouse, où il a notamment mis en £uvre le plan de restructuration Power 8.
Trop tard ? Les retards se sont accumulés – trois ans à ce jour – et, avant que l’avion décolle pour la première fois, le 11 décembre dernier, à Séville, l’addition, elle, s’est envolée. EADS a déjà passé pour 2,4 milliards d’euros de provisions et voudrait bien ne pas plomber ses comptes au-delà de 2009. Le constructeur réclame aux Etats une rallonge de 5 milliards. » Du côté d’EADS, les provisions pourraient atteindre de 4,5 à 5 milliards « , estime Pierre Boucheny, chez Kepler Equities. Quelle que soit la répartition des surcoûts, l’espoir d’une rentabilité du programme s’est d’ores et déjà évanoui. Quant aux ambitions d’EADS dans la défense, elles ont du plomb dans l’aile : les armées en attente de l’A 400 M sont obligées de louer des appareils américainsà payés par EADS. Outre-Atlantique, cela fait désordre alors même que le groupe européen est candidat, avec son allié américain Northrop-Grumman, sur le mégacontrat des avions ravitailleurs, dont le nouvel appel d’offres doit sortir au début de février. Conclusion d’un expert du secteur : » Jamais EADS n’aurait dû se lancer dans l’A 400 M. «
Certes, le constructeur dispose aujourd’hui d’une trésorerie confortable – 8 milliards d’euros. Mais qui sera largement sollicitée pour le développement de l’A 350 et, demain, pour le successeur de l’A 320. Le jour venu, elle doit aussi permettre à Louis Gallois, patron d’EADS, de réaliser la grande acquisition dont il rêve dans la défense. L’A 400 M, qui devait contribuer à contrebalancer le poids des activités civiles dans le groupe, fait désormais figure de boulet. Comme le confie un proche du dossier : » Arrêter le programme coûterait aussi cher que de le poursuivre et l’effet sur l’image serait désastreux. «
Valérie Lion
« Un tel dépassement de coût, c’est presque du jamais-vu »