Kurdistan : l’honneur tue

Des femmes violées ou qui ont  » fauté  » sont assassinées par leurs proches. En Turquie, des associations se mobilisent contre le  » crime d’honneur « 

Il y a seize ans, quand elle est née, ses parents ont choisi de l’appeler Kader,  » destinée « . Ils habitaient déjà dans le quartier de Suriçi, la partie la plus pauvre de Diyarbakir, au pied des remparts de basalte. Cette ville de 1,5 million d’habitants, dans le sud-est de la Turquie, abrite la plus importante population kurde du pays, après Istanbul. Kader n’est jamais allée à l’école. Elle n’a rien connu d’autre que la cour et les deux pièces exiguës de la maison familiale. Du carton ondulé bouche les trous dans les murs de pisé pour tenter d’empêcher le froid d’entrer. Un téléviseur trône dans la pièce principale à côté d’un mauvais poêle. C’est, avec une paillasse humide, le seul mobilier de la famille. Saime, la mère de Kader, sanglote. Il y a deux mois et demi, la jeune fille a été assassinée par l’un de ses frères. Violée par un cousin, elle était enceinte. Un conseil de famille a mandaté Ahmet, le plus jeune des frères de Kader, tout juste âgé de 20 ans, pour effacer la tache en tuant sa s£ur. Ce  » crime d’honneur  » a été perpétré avec une hachette de boucher. Ahmet est aujourd’hui en prison. La justice devrait se prononcer sur son cas le 18 mars.

Une chose a changé, depuis peu : les associations féminines de Diyarbakir ont fait de la lutte contre les crimes d’honneur l’une de leurs priorités. Après l’assassinat de Kader, plusieurs d’entre elles ont organisé une collecte pour permettre des obsèques décentes, malgré l’opposition de la famille. Déjà, l’an dernier, elles s’étaient mobilisées pour aider une autre femme kurde, Semsa Allak. Coupable d’être enceinte sans être mariée, elle avait été attaquée à coups de machette par l’un de ses proches. Hospitalisée, elle avait finalement succombé à ses blessures au bout de sept mois. Pour Nebahat Akkoç, présidente du Centre pour les femmes (Kamer), c’est la mobilisation féminine qui seule pourra venir à bout de l’horreur.  » Certaines femmes, dit-elle, sont condamnées à mort par le conseil de famille pour simple désobéissance parce qu’elles sont allées au cinéma ou chez leurs voisins sans permission.  » Depuis un an, le centre Kamer a mis sur pied un projet qui vise à prévenir ces assassinats en entrant en contact avec les femmes qui sont en danger de mort. 23 personnes ont ainsi été prises en charge dans les refuges de l’association avant de recommencer leur vie ailleurs.  » Si j’avais su qu’il y avait des femmes qui pouvaient nous aider, assure aujourd’hui la mère de Kader, je leur aurais amené ma fille immédiatement.  » Il y a deux ans, l’une des villes de la région, Batman, avait connu une vague de suicides sans précédent dans sa population féminine. On s’est beaucoup interrogé sur ce phénomène. La présidente de Kamer est convaincue qu’il s’agissait en réalité de crimes d’honneur déguisés et que ces femmes ont été poussées par leurs proches à se donner la mort.

Jusqu’à présent, le Code pénal turc accordait de généreuses réductions de peine aux auteurs de meurtres d’honneur. Zulal Erdogan, une avocate de Diyarbakir, pense que la révision en profondeur du Code pénal, qui devrait être effectuée cette année, pourrait abolir ces tolérances. Mais il restera à faire en sorte que les mentalités changentà  » Les femmes, ici, ont toujours été soumises à la pression sociale, explique Nebahat Akkoç. Les mouvements kurdes, qui mettaient les femmes sur le devant de la scène, ne se sont, en fait, jamais occupés de leurs problèmes. Aujourd’hui encore, nous subissons des pressions simplement parce que nous nous exprimons sur ces questions.  »

Les crimes dits  » d’honneur  » sont une pratique ancienne que l’on trouve dans des sociétés traditionnelles de type patriarcal, notamment au Moyen-Orient et en Asie. Elle permet à un homme de tuer une femme ou sa partenaire pour cause de  » comportement immoral « , réel ou supposé. Il peut s’agir aussi bien d’une liaison hors mariage, du refus d’un mariage arrangé ou encore d’une simple conversation avec un homme. Il arrive fréquemment, aussi, que des jeunes femmes soient assassinées par leur frère ou leur époux après avoir été victimes d’un viol.

En 2000, lorsque les Nations unies ont voulu adopter une résolution condamnant ces crimes, pas moins de 20 pays, dont la Russie et la Chine, se sont abstenus. En Jordanie et au Pakistan, les Parlements se sont opposés à tout changement de la loi garantissant le pardon aux meurtriers. l

De notre correspondante

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