Kickstarter, trois histoires belges

Fishing Cactus, Abrakam, Larian Software… Le jeu vidéo made in Belgium se finance grâce aux internautes sur Kickstarter. Cette plate-forme a déjà soutenu 50 000 projets originaux et séduit pour ses vertus médiatiques.

Une console de jeu vidéo carburant au logiciel libre, un ballet de rue animé d’électriciens sur des lignes à haute tension, un appareil photo scannant des objets en 3D… Depuis sa création il y a quatre ans, Kickstarter a financé 50 000 projets originaux. En dehors des circuits d’investissement classiques, 5 millions d’internautes ont ouvert leur portefeuille pour soutenir –  » backer  » dans le jargon – des produits sur ce site de financement participatif. Un an après la montée en puissance de cette plateforme financée à ses débuts par les cofondateurs de Twitter et Vimeo, les retards de production, annulations de projet et autres arnaques pures et simples n’ont pas entamé son magnétisme. Ni son rôle de tremplin médiatique.

Pratiquant un black-out digne d’Apple à chaque tentative d’interview, le service presse de ce phénomène Web renvoie à des communiqués triomphalistes annonçant récemment 521 millions d’euros levés et 49 campagnes qui ont dépassé le million de dollars depuis sa création. Nombreux sont toutefois les observateurs et backers qui attendent de voir la pertinence des projets précommandés. Malgré ces zones d’ombre et des démarches exigeant de posséder une adresse dans un des pays anglo-saxons où le site est officiellement présent (la Belgique attendra), une quinzaine d’idées ont déjà été soutenues avec succès chez nous.

Au-delà de courts-métrages (l’attachant L’Chaim ! – To Life ! de l’Anversois Elkan Spiller) et autres magazines (Mood), le jeu vidéo y occupe une place de choix avec trois projets belges. Les Gantois de Larian Software ont ainsi réussi leur financement en avril dernier, à hauteur de 684 163 euros. Moins connus du circuit gaming classique, Abrakam et Fishing Cactus, deux studios wallons, sont respectivement sur le point de terminer et entamer leur campagne Kickstarter.

Basés dans le parc Initialis de Mons, les 23 développeurs de Fishing Cactus ont planché sur Algo-Bot, un serious game qui, par le biais de petits robots officiant dans une usine de traitement de déchets nucléaires, permet d’apprendre les bases de la programmation. Deux mois de démarches visant à s’implanter aux USA ont été nécessaires.  » Cette contrainte nous a permis de faire d’une pierre deux coups car nous voulions avoir un pied aux Etats-Unis, précise Sophie Schiaratura, responsable du lancement d’Algo-Bot sur Kickstarter. On a dû créer une vraie société de type LLC, avec un compte en banque. Cela prend du temps et de l’argent, d’autant qu’on on a dû multiplier les démarches par cinq, soit le nombre de patrons de la boîte. Sans compter les heures de travail, on a investi dans les 10 000 euros.  »

 » Technobel édite et finance la base de ce projet mais jusqu’à un certain point, précise Sophie Schiaratura. L’argent que nous récolterons sur Kickstarter devrait nous permettre de finaliser Algo-Bot comme nous l’entendons. On aimerait pouvoir offrir des licences du jeu à des écoles et des centres de formation. Pour y arriver, nous devrons récolter 70 000 dollars. Un autre palier pourrait être franchi, avec l’adaptation sur iOS et Android. Mais cela nous demanderait d’atteindre les 100 000 dollars.  »

Kickstarter, le nouveau RP

Nouveaux venus sur le terrain du jeu vidéo belge, Abrakam tente, de son côté, de lancer Faëria. Ce jeu de cartes médiéval fantastique qui se pratique en ligne semble prometteur puisqu’il a permis à ce quatuor de jeunes créateurs liégeois de remporter cette semaine un prix de 60 000 euros au Boost-Up/Industries Créatives (subsidié par la Région wallonne).  » On a décidé de lancer un Kickstarter pour obtenir du financement mais surtout pour la visibilité médiatique que cela nous apportait, note Olivier Griffet, en charge du volet business. Vu que nous sommes nouveaux dans le paysage et que notre projet est très online, c’était indispensable. Pour créer une filiale américaine, nous sommes passés par une société qui percevra 5 % de nos revenus à l’avenir.  »

Au-delà de cette étape, fixer une date limite, un budget à atteindre et des paliers de  » pledge  » sont ensuite indispensables. Ces derniers sont en fait des promesses d’achat variant d’un simple parrainage de quelques dollars (pour avoir son nom au générique par exemple) à l’achat de l’oeuvre, basique, en édition limitée ou même avec des bonus (allant parfois jusqu’à un souper avec ses créateurs). Pousser à la précommande d’un produit qui n’est pas encore sorti n’est toutefois pas si simple. Avec un taux de réussite de 43,87 %, plus d’un projet sur deux échoue à son financement.

Sans renommée dans son domaine, la tâche est encore plus ardue.  » Gérer le projet sur Kickstarter pendant la campagne de financement demande une énergie folle, ça ne s’improvise pas, reconnaît Olivier Griffet. On s’est préparé pendant quatre mois à fond. Pour avoir une base de fans sur le Web, nous avons arpenté tous les plus gros salons du jeu, le online passe d’abord par la rencontre physique. Après, répondre, en anglais, aux messages privés et publics des gens qui ergotent souvent, publier des mises à jour régulières, envoyer des nouveaux visuels prend également plus de temps qu’on ne l’ imagine.  »

Malgré ces contraintes, les initiatives se bousculent à la porte de Kickstarter. En témoigne, la commission de 5 % appliquée sur chaque projet qui a permis au site new-yorkais de passer de 6 millions de dollars de chiffres d’affaires en 2011 à 13,6 millions de dollars l’année suivante. Malgré une présence limitée aux USA et en Grande-Bretagne (suivie du Canada et de l’Australie récemment), des projets originaires de 177 pays ont vu le jour, chaque créateur conservant 100 % de la propriété intellectuelle de son idée. Avec parfois de belles success-stories à la clé.

Souvent cité en exemple parmi les jeux indépendants qui ont explosé le plafond de la somme demandée, Divinity : Original Sin de Larian Studios a récolté plus du double de sa demande en avril dernier. Soit 944 482 dollars au lieu des 400 000 initialement requis. Comme chez Fishing Cactus, l’idée était de financer le développement de fonctionnalités supplémentaires.  » Mais la seconde raison qui me pousserait à retenter l’expérience et que j’ai découverte en fin campagne, est que le développement de notre jeu s’est fait avec le public « , précise Swen Vincke, patron du studio gantois. Il enchaîne :  » Face à un investisseur classique, la pression terrible du timing de sortie s’applique moins sur Kickstarter. Les investisseurs ne s’intéressent pas au profit, mais plutôt à la promesse créative. On fait face à un groupe d’idées – pas facile à gérer – plutôt qu’à quelques spécialistes marketing qui suggèrent les voies à emprunter. Mais tout n’est pas rose pour autant. Un projet qui n’est pas encore financé doit montrer à ses backers qu’il avance. En cas d’échec, c’est une perte financière assurée.  »

Michi-Hiro Tamaï

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