KBL : soupçons de montage policier

La KBL (Kredietbank Luxembourg) et son ancien président accusent : trois policiers de l’ex-PJ auraient manigancé pour  » blanchir  » les preuves de fraude fiscale acquises irrégulièrement – par le vol – dans le dossier KBL

Nouvel épisode dans la saga KBL : la banque luxembourgeoise, du groupe Almanij, et l’ancien président du comité de direction de celle-ci, Damien Wigny, ont déposé plainte, avec constitution de partie civile dans les mains de la juge d’instruction bruxelloise Cécile Florival. Leur action vise trois enquêteurs de l’ex-PJ (police judiciaire) et X, pour  » faux et usages de faux, détournement, destruction et suppression de pièces par fonctionnaire public et recel, en qualité d’auteur ou coauteur « .

C’est encore et toujours la manière dont la justice belge est entrée en possession des documents bancaires et des microfiches volés par 5 employés de la KBL, en 1993 et 1994, qui est en jeu. Non plus sur le principe de l’origine délictueuse des pièces (vol à l’employeur), rendant impossible leur utilisation dans une procédure légale, mais bien à cause des infractions pénales qui, selon les plaignants, auraient été commises pour  » blanchir  » les pièces volées. En somme, les enquêteurs sont accusés de s’être livrés à un  » montage policier « . Rien de moins. Pour rappel, 9 000 personnes, en Belgique, et 4 000, aux Pays-Bas, ont été affectées par le dévoilement progressif de leur identité de titulaire d’un compte au Luxembourg. En outre, 37 personnes ont été inculpées comme responsables présumés des mécanismes de fraude fiscale mis en place par la correspondante grand-ducale de la Kredietbank (devenue KBC). Cette dernière est, elle, fortement soupçonnée d’avoir joué les rabatteurs. L’instruction de cette affaire est terminée et le parquet devrait bientôt tracer son réquisitoire, en vue de la chambre du conseil devant décider du renvoi des inculpés devant un tribunal correctionnel.

De toutes pièces ?

Au terme d’une relecture minutieuse de plusieurs sources judiciaires et policières (dont un rapport sévère du Comité P), l’avocate de Damien Wigny, Me Michèle Hirsch, a reconstitué ce qu’a dû être, selon elle, le parcours mouvementé des documents volés. Me André Elvinger, du barreau de Luxembourg (qui a élu domicile au cabinet de l’avocat verviétois Adrien Masset), renvoie à cet exposé des faits pour motiver sa plainte.

Tout commence en mars 1994. Jean-Pierre Leurquin (décédé aujourd’hui), un ancien vétérinaire, ancien indicateur de la PJ mais sur  » liste noire  » (donc, en principe, infréquentable), va servir d’intermédiaire entre trois des employés indélicats de la KBL et trois policiers de la PJ de Bruxelles, G.C., J.-P.G. et R. de S.M. Ces derniers encouragent Leurquin à se procurer la totalité des documents et à les leur remettre. Mission accomplie, semble-t-il, entre juin et août 1994. Plusieurs jeux de photocopies sont tirés. La PJ en garde un sous le coude. Elle tente, par ailleurs, de convaincre les voleurs de dénoncer eux-mêmes ces faits à la justice belge mais, à deux reprises, leur  » plainte  » est classée sans suite par le parquet ou déclarée irrecevable par la chambre du conseil, car fondée sur des documents volés. Il faut donc trouver autre chose. Deux scénarios sont reconstitués a posteriori par Me Hirsch. Soit les documents auraient été saisis  » par hasard  » à l’occasion d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire entre septembre 1994 et le début de 1995. Soit Leurquin les aurait remis  » spontanément  » à l’un des trois  » péjistes « , le 16 mars 1995, dans le cadre d’une information ouverte contre lui à la suite d’une plainte pour détournement de la pension de handicapé d’un nommé Richard Vandergoten. C’est le scénario n° 2 qui est appliqué. Effectivement, les documents sont remis à la PJ par Leurquin, le 16 mars 1995, ce qui permet à l’Inspection spéciale des impôts (ISI) de consulter le dossier dès le 10 mai 1995. Le dossier portant le numéro de notice 70.97.1071/95 reste à peu près vide, hormis une audition de Vandergoten, un an et demi plus tard.

Pourtant, le scénario n° 1 û celui de la perquisition ou de la visite domiciliaire û continue à être évoqué, bien maladroitement. Encore tout récemment, l’un des policiers visés par la plainte a précisé aux autorités fiscales néerlandaises, par l’intermédiaire d’un collègue, que les documents KBL avaient été saisis au cours d’une perquisition/visite domiciliaire menée dans le cadre d’une information à charge des dirigeants de la KBC.  » Cette déclaration, explique Me Hirsch, confirme l’existence d’une information ouverte à charge des dirigeants de la KBC, existence que nous avions déjà pu déduire, d’une part, de la lecture des courriers échangés entre l’ISI et le parquet général, des dénonciations de l’ISI en cette affaire et, d’autre part, en interprétant le numéro de notice du dossier Vandergoten.  » De fait, celui-ci commence par  » 70 « , le numéro qui vise habituellement les infractions commises par des dirigeants de société. En 1995, dans la correspondance de l’ISI, le  » dossier Vandergoten  » renvoie clairement à la procédure à charge de Jan Thielemans, administrateur délégué d’Almanij, et consorts. L’accusation de Damien Wigny suit, lourde : pour lui,  » les procès-verbaux relatifs à la perquisition ont été soustraits des dossiers répressifs, voire éventuellement détruits.  » Quant au dossier 70.97.1071/95, il  » a été créé de toutes pièces pour les besoins de la cause aux fins de donner une apparence de régularité à des poursuites pénales fondées sur des éléments de preuve recueillis de manière irrégulière « . A la question d’un officier de justice hollandais sur l’origine, régulière ou non, des preuves contre la KBL et ses clients û une affaire de fraude fiscale est pendante devant le tribunal correctionnel d’Amsterdam û, le procureur général de Bruxelles, André Van Oudenhove, a opposé, le 3 mars, une fin de non-recevoir. Elle était motivée par  » les intérêts de l’Etat  » et  » le secret de l’instruction « .

Marie-Cécile Royen

Deux scénarios sont reconstitués a posteriori par Me Hirsch

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