Jusqu’ici, ça va !

Si le IIIe millénaire et sa symbolique futuriste auguraient une ère de prouesses dans le domaine des nouvelles technologies, l’euphorie n’a cessé de retomber depuis trois ans

Annus horribilis. Combien de fois n’a-t-on pas entendu ce qualificatif durant l’année 2001? Il était pourtant faiblard comparé à ce que le millésime 2002 nous réservait. Là, on peut dire que le secteur des nouvelles technologies a bu le calice jusqu’à la lie. Et la question est maintenant sur toutes les lèvres: quand cela va-t-il s’arrêter? Sans doute prochainement si l’on en croit la timide reprise enregistrée par le secteur en cette fin d’année et la lente remontée des actions techno. Pour autant, il ne faut pas s’attendre à une reprise fulgurante. La crise a profondément chamboulé le secteur et renvoyé quelques règles, que l’on pensait inaltérables, du côté des simples conjectures.

Prenons le Net. N’était-il pas présenté comme une fabuleuse machine à produire de la croissance? Dans le secteur informatique, passé le premier engouement du public, on ne peut pas dire que la règle se soit vérifiée. Depuis trois ans déjà, la vente d’ordinateurs stagne. La faute au bogue de l’an 2000, nous explique-t-on. Les entreprises ont remis à jour leur parc informatique avant le grand clash (qui n’a pas eu lieu) et elles ne ressentent pas encore le besoin d’acquérir de nouvelles machines. L’argument manque de poids. Il n’y a pas si longtemps, un ordinateur était, en effet considéré comme totalement dépassé après deux ans. Dès lors, on peut se demander si l’utilisation de la Toile n’a pas ouvert les yeux de l’usager. Courrier électronique, surf ou dialogue en direct, aucune des trois applications phares du Réseau ne requiert une grande puissance de calcul. Sur la Toile, le goulet d’étranglement se situe plutôt au niveau du débit de la connexion. Le fait de travailler sur un Pentium de première génération (suffisamment garni en mémoire vive) ou sur le tout dernier P4 cadencé à 2 gigahertz, cela importe finalement peu. Pourquoi, dès lors, investir dans une nouvelle machine? S’il n’y avait les jeux, encore gourmands en ressources, on pourrait dire que la Toile a réussi à multiplier par deux la durée de vie de nos ordinateurs. Mieux même, elle a cassé l’infernale course à la puissance.

Ce qui est vrai pour le matériel l’est également pour le logiciel. Même si Microsoft Belgique n’a pas jugé utile de nous communiquer ses chiffres, on peut pressentir que les ventes de Windows Xp n’ont pas dépassé les sommets atteint par celles de Windows 95 ou Windows 98. En comparant les rapports financiers annuels du géant, on remarque que les hausses spectaculaires du résultat d’exploitation de la fin des années 1990 ne sont plus à l’ordre du jour. Si, pour l’exercice 1999, on notait encore une augmentation de 52% du résultat d’exploitation par rapport à l’année précédente, en 2001 et 2002 les hausses n’étaient, respectivement, que de 6 et 2 petits pour cent. Rajoutez à cela la lente, mais inexorable montée des systèmes ouverts dans les entreprises, et l’on ne prend pas trop de risques en soutenant que les plus belles années de Microsoft en tant que société de développement de logiciels se trouvent derrière elle. Les gourous de Redmond auraient-ils déjà anticipé la chose et entamé un progressif repositionnement de la société? En voyant la détermination affichée par Microsoft pour imposer l’Xbox, sa console de jeux, on n’est pas loin de le penser. Alors que les chiffres publiés en novembre dernier montrent que la branche divertissement de Microsoft – qui comprend la Xbox – a perdu 177 millions de dollars lors du dernier trimestre, John Connors, le directeur financier de la société, a annoncé, non pas une sortie du marché, mais bien un doublement des investissements dans le secteur. Ce qui fait dire à certains analystes, interrogés par l’agence Reuters, que Microsoft devrait investir plus de 2 milliards de dollars pour sa console dans les cinq prochaines années. Le loisir numérique suscite, décidément, bien des convoitises…

Dans les manoeuvres de repositionnement, le secteur des télécommunications mobiles a également subi, durant l’année 2002, sa période de chaise musicale. Avec, malheureusement, de nombreuses pertes d’emplois à la clé. Si elle n’est pas la seule à porter la responsabilité du fiasco de l’UMTS, la fameuse téléphonie mobile de troisième génération, la Commission européenne a néanmoins quelques ratages à se reprocher dans ce dossier. Sentant que l’Europe avait une longueur d’avance sur les Etats-Unis et, donc, une chance de doubler l’Oncle Sam en matière de téléphonie mobile, la Commission a quelque peu précipité les choses. En lançant une procédure d’attribution de licences UMTS avec un calendrier très serré – la Commission espérait une ouverture commerciale des réseaux le 1er janvier 2002 – et en laissant chaque pays décider de la manière dont ces licences allaient être attribuées – enchère ou soumission comparative – sans définir de règles précises, la Commission a indirectement participé à l’endettement considérable de certains opérateurs mobiles. Si, pour la Belgique, le retard du gouvernement dans le dossier des licences a permis de limiter la casse financière (les opérateurs ont déboursé chacun 150 millions d’euros pour l’UMTS), il n’en fut pas de même dans d’autres pays. Ainsi, les licences ont coûté très cher aux opérateurs, notamment en Allemagne (50 milliards d’euros) et en Grande-Bretagne (38,5 milliards d’euros), à tel point que plusieurs sociétés se demandent maintenant comment elles vont réussir à rentabiliser leurs investissements. Dans un entretient accordé à l’hebdomadaire allemand Focus, le commissaire européen aux Entreprises Erkki Liikanen s’est défendu de ces accusations en précisant que la commission européenne a toujours plaidé pour une approche communautaire dans le dossier d’attribution des licences UMTS. « Mais les Etats membres se sont défendus bec et ongles » contre cette idée… Des précisions qui n’ont pas empêché le ministre français de l’Economie, Francis Mer, d’y est allé d’un pamphlet virulent à l’encontre de l’Union. Pour lui, l’Europe n’a pas eu le courage de « proposer des solutions intelligentes (…) et est passée à côté d’une opportunité majeure d’avoir une certaine politique industrielle dans le domaine des nouvelles technologies ».

Si la remarque est judicieuse, elle n’en arrive pas moins un peu tardivement. Plusieurs opérateurs négocient une sortie de l’UMTS alors que d’autres ont tout simplement disparu. En Belgique, sauf changement de dernière minute, le lancement de ce service est toujours programmé pour septembre 2003. Reste maintenant à voir si le consommateur a réellement besoin d’une téléphonie de troisième génération? A l’avenir et pour ne pas dépenser inutilement leur maigre capital, les sociétés actives dans les nouvelles technologies ont intérêt à se poser ce genre de questions. Car, qu’on le veuille ou non, c’est encore le consommateur qui dirige le marché. A tout du moins, on ose encore l’espérer…

Vincent Genot

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