Joostens révélé

A Ostende, une exposition décrypte – en deux temps – l’oeuvre de Paul Joostens. Cet artiste belge emporté à la fois par la multiplicité des avant-gardes et l’incompatibilité entre ses appétits sensuels, sa mystique et ses révoltes.

Qui est donc l’Anversois Paul Joostens (1889-1960) ? Un dadaïste de la première heure ? Un cubiste tardif, un surréaliste hésitant ou un peintre pompier ? Cette hétérogénéité de tons et de manières s’explique à la fois par l’époque mais aussi par la personnalité d’un artiste qui n’hésite pas à exposer dans des cénacles religieux tout en remplissant des carnets de dessins obscènes. Comme tant d’autres au cours de ce premier quart du XXe siècle, il fut l’homme des groupes, des cercles et des revues. Et donc aussi l’homme des ruptures et des exclusions comme lorsqu’il sera excommunié par le pape de la  » sainte église cubiste et flamingante « , son ami le poète Paul Van Ostaijen.

Comme d’autres protagonistes des avant-gardes, Paul Joostens se retrouva souvent bien seul, une fois passé le temps des enthousiasmes. Avait-il du talent à défaut de génie ? Son oeuvre est inégale. Elle batifole entre diverses chapelles, on y décèle les influences, quelques audaces, un parfum particulier d’hétérogénéité dont la postmodernité a fait une qualité. Le peintre prometteur des débuts s’avère ensuite assez médiocre, le dessinateur brille surtout par son imaginaire corrosif, le collagiste est plus subtil et l’assemblagiste convaincant.

Cinema Joostens au MuZEE, à Ostende, explore en deux temps l’univers de l’artiste belge. Le premier épisode se concentre sur ses dessins et tableaux, tandis que le second porte sur ses collages et assemblages.

Les rencontres décisives

Paul Joostens a 25 ans quand débute la Première Guerre mondiale. Il en parle peu, mais c’est durant cette période, et à Anvers, que, loin des combats, il fait les rencontres décisives et s’engage dans la dynamique des avant-gardes par l’intermédiaire de cercles qu’il intègre et au sein desquels il va être informé des tendances novatrices. Les Pays-Bas – où se sont réfugiés les expressionnistes Frits Van den Berghe, Gus De Smet mais surtout Jules Schmalzigaug (qui deviendra  » le  » futuriste belge), Georges Van Tongerloo (qui opte pour le constructivisme) ou encore Oscar Jespers, un ami d’académie de Paul Joostens – donnent le ton. Demeuré neutre, ce pays en paix développera une curiosité et une réflexion ouverte entre autres aux innovations venues de la Russie révolutionnaire et dont le mouvement De Stijl (Mondrian, van Doesburg) profitera.

Certes, dans la métropole flamande, ils sont peu nombreux les artistes qui se rallient à ces nouvelles esthétiques. Et bien moins nombreux encore les amateurs. Pis, au fil de ces années sombres, comme l’écrira alors le critique Delen,  » sur fond d’usuriers de guerre fraîchement enrichis et d’escrocs louches s’est développée une société de collectionneurs au goût d’épicier « . Dès lors, face à cet état de choses, la révolte de Joostens et ses amis vise non seulement une esthétique dépassée et galvaudée mais aussi une société.

Ces prises de positions vont se renforcer dans l’immédiat après-guerre. Elles s’expriment en petits comités qui relaient leurs convictions dans des revues, souvent éphémères. A Anvers, Joostens participe aux réunions de différents cercles et revues comme  » Le cénacle « ,  » L’alliance sans papier scellé  » et dans les années 1920,  » Ca ira « ,  » Clarté « ,  » Espace  » ou encore,  » Het Overzicht « . Mais en réalité, toute l’avant-garde européenne se construit sur des positions politiques et esthétiques identiques. Cette communauté d’esprit facilite les échanges entre les ténors et les émules mais aussi entre les créateurs et les amateurs (donc les acheteurs) potentiels. Preuve, le nombre d’opus de Joostens aujourd’hui disséminés dans diverses collections internationales dont Berlin où se trouvait, dès 1918, son ami et mentor Paul van Ostaijen.

Fantasmes et mysticisme

Paul Joostens, petit dernier d’une famille très catholique de quatre enfants, est de santé fragile. A 13 ans, la visite de l’exposition historique révélant le génie des Primitifs flamands le laisse sans voix. Deux ans plus tard, il perd son frère aîné. Un an encore et le voilà à l’académie d’Anvers aux côtés de Jozef Peeters et des frères Jespers, qui deviendront les chefs de file de l’abstraction géométrique en Flandre. Il en sort six ans plus tard et se fait une petite place dans le milieu anversois des poètes. Viennent les années de guerre. On aurait pu le voir engagé, rejoindre le front et les combats. A la place, durant le temps que dure le conflit, son ami, le poète Paul van Ostaijen lui fait découvrir les plaisirs de la vie nocturne et du cinéma, la beauté de la ville moderne, celle des jeux d’acteurs et la modernité dans les arts. Il l’invite ainsi à abandonner une manière teintée de post-impressionnisme à la Bonnard pour la dynamique fragmentée dont le cubisme et le futurisme ont fait leur credo. Le voilà cubo-futuriste et dans ses premiers collages (dès 1917), abstrait. Mais dès 1921, il écrit un texte aux accents dadaïstes (Salopes) et réalise sa première série d’assemblages de bois et autres objets de récupération.

Quatre ans plus tard, il fait la rencontre des surréalistes bruxellois et multiplie dessins et peintures dans lesquels il met au point le prototype de la  » coquette perfide  » sensuelle et provocatrice qui fera plus tard sa célébrité. Il la met aussi aux prises avec le monde catholique dont il se venge avec l’ardeur d’un sanglier en rut. S’y révèle alors un homme fasciné par la beauté de la femme-enfant perverse autant que par celle de la madone dont l’apparence renvoie à sa vénération pour Greta Garbo et Marlene Dietrich. Mais ses fantasmes se heurtent à une autre part de sa personnalité : son attirance pour le mysticisme. L’incompatibilité entre ses deux tendances le conduira à une dépression dont il sortira en 1927 en peignant des peintures aux allures  » néo-gothiques « . Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que, reconnu par les jeunes artistes du temps comme un précurseur, sa créativité retrouvera son niveau des années 1920. Il approche de la soixantaine et sa santé fragile le conduit souvent à rejoindre l’hôpital où il mourra en 1960.

Cinema Joostens, au MuZEE, 11, Romestraat, à Ostende. Episode 1 : jusqu’au 15 juin. Episode 2 : du 28 juin au 14 septembre. www.muzee.be

Par Guy Gilsoul

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire