Jim Fergus Un cow-boy à Paris

Marianne Payot Journaliste

Fan des grands espaces, l’écrivain du Colorado est aussi un amoureux de la France et du Montparnasse des années 1920. C’est là qu’il plante le décor de son dernier roman. Histoire d’une passion.

Dans son atelier du boulevard Edgar-Quinet, en plein quartier Montparnasse, un Américain rayonne. C’est ici que son héroïne Chrysis, jeune artiste peintre de bonne famille, vécut il y a près de nonante ans. Or l’atelier en question, boboïsé à souhait, se loue désormais à la semaine. Jim Fergus sourit de sa trouvaille, heureux de ces allers et retours dans le temps et à travers les continents. Depuis qu’il a foré ses origines françaises, l’auteur de Mille Femmes blanches n’en finit pas d’arpenter Paris.  » Je suis confortable ici « , explique l’écrivain du Colorado et de l’Arizona dans son français appliqué. D’autant plus confortable que son éditeur dans l’Hexagone, Le Cherche Midi, publie, avant même toute édition outre-Atlantique, son nouveau roman, Chrysis. Paris, le nouvel eldorado des lettres américaines ?

Les années ne sont plus si folles, les ombres de Fitzgerald, de Miller ou de Hemingway ont déserté le Dôme et la Rotonde, mais l’élégant Jim Fergus, 63 ans, perpétue la grande tradition des années 1920. C’est ici, sur le Vieux Continent, qu’il trouve aujourd’hui son inspiration, sans oublier totalement les grandes plaines de son Ouest sauvage… L’histoire remonte à l’été 2007. Avec sa femme, Mari, alors très malade, Jim chine sur le vieux port de Nice. Chez un antiquaire, Mari s’emballe devant un tableau représentant un groupe de jeunes gens en tenue légère, électrisée par  » l’impression de joie et d’innocence  » dégagée par ces bacchanales. Au dos, une étiquette :  » Orgie, Chrysis Jungbluth, vers 1925 « . Un an plus tard, Mari est décédée ; six ans plus tard, Jim a acheté toutes les toiles disponibles de Chrysis et enquêté sur cette mystérieuse peintre au leste pinceau. Résultat : 288 pages de romance pimentée sur fond de Montparnasse artistique d’après guerre (voir l’encadré).

 » Ici, mon boucher me respecte  »

Nul doute, le généreux Jim Fergus sait ausculter l’âme féminine. Une empathie qu’il prouve de livre en livre, depuis son best- seller Mille Femmes blanches (400 000 exemplaires en France, 650 000 aux Etats-Unis), imaginé à partir du stupéfiant marché proposé par le chef cheyenne Little Wolf au président Grant : 1 000 chevaux contre 1 000 femmes ! Avant cette entrée tonitruante sur la scène romanesque, Jim Fergus a été professeur de tennis (en Floride) puis journaliste free-lance pour la presse  » hook and bullet  » (littéralement, hameçon et balle) et ardent défenseur de la nature sauvage, à l’instar de ses amis Jim Harrison et Rick Bass.

La pêche à la mouche, la chasse, la monte, autant de passions inculquées par son père, un temps joueur de polo quasi professionnel, avec qui, né à Chicago, il a bourlingué, jeune, tous les étés, dans le Montana et le Wyoming. Le 23 mars 1966, arrêt brutal des vacances en famille : le matin même du 16e anniversaire de Jim, son père meurt d’un emphysème, deux jours après le suicide de… sa mère, Marie-Blanche, Française débarquée aux Etats-Unis à l’âge de 18 ans, alors soignée dans une clinique de désintoxication à Lausanne. Zoom avant : un jour de l’an 2000, Jim reçoit une lettre d’une lectrice bourguignonne de Mille Femmes blanches, qui lui dit reconnaître sa cousine sous le personnage d’une certaine Marie-Blanche, glissé discrètement dans le roman-fleuve. Touché ! La signataire de la missive a bien connu sa mère et détient nombre d’objets de leur enfance commune. Jim Fergus remonte alors le temps, se passionne pour l’histoire de sa branche française, découvre les frasques de sa riche grand-mère, grande manipulatrice multimariée (qui vendra sa maison de Saint-Tropez à… Brigitte Bardot), et les racines des tourments maternels.

Au terme de son exploration, il publie, en 2011, Marie-Blanche, fresque familiale sur un siècle. Un joli succès en France, pas encore publié aux Etats-Unis. Jim Fergus s’en désole :  » Mon éditeur américain l’a refusé, car il n’y a pas d’Indiens dedans. Il voudrait que je refasse éternellement le même livre, c’est insupportable.  » Une étiquette  » indienne  » qui risque de coller encore longtemps à l’homme du Midwest, Mille Femmes blanches devant bientôt être adapté par la société de production de Johnny Depp, Infinitum Nihil.

Si Jim, le fils de Marie-Blanche, revendique sa francité (allant jusqu’à fixer un drapeau bleu-blanc-rouge sur sa porte lors du boycott de 2003 des produits hexagonaux aux Etats-Unis), l’auteur Fergus n’est pas en reste :  » Comme le dit Jim Harrison, la France nous traite beaucoup mieux que notre propre pays. Ici, l’écrivain est respecté. Et lu. Même mon boucher m’a parlé de mes romans, chose inimaginable aux Etats-Unis !  » Jim Fergus sera de retour en septembre à Paris pour un recueil d’articles titré… Mon Amérique.

Chrysis. Portrait de l’amour, par Jim Fergus. Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides. Cherche Midi, 288 p.

MARIANNE PAYOT

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