Jean-Pierre Jacqmin, du coq à l’âne

Responsable de l’information sur La Première, le journaliste de la RTBF n’a pas son pareil pour soumettre à la question, chaque matin, ceux qui font l’actualité

Pour les 150 000 auditeurs de la RTBF qui l’écoutent sur La Première, il est resté l’homme sans visage. Il ne s’affiche pas en couverture des magazines de télé et ne fait pas la navette entre micro et petit écran. Hors du cercle professionnel et de ses invités de 7 h 43, Jean-Pierre Jacqmin s’est contenté, depuis six ans, de n’être qu’une voix. Mais les accros de l’info n’imaginent pas se passer d’elle. Promu chef de rédaction de La Première, comprenez patron de l’information de cette chaîne en rénovation ( lire par ailleurs), Jacqmin a eu la bonne idée de garder la barre de L’invité de Matin Première, dût-il faire des heures supplémentaires pour cumuler les fonctions. Le bonhomme a pour cela l’énergie et l’ambition qu’il faut, appréciant autant les plaisirs de l’antenne que ceux du pouvoir.

A bientôt 43 ans û il les aura le 4 mai prochain û, il affiche l’aplomb et le savoir-faire du vieux briscard rompu à toutes les ficelles de l’interview. Et il en faut pour recevoir Elio Di Rupo un jour, s£ur Emmanuelle un autre, Javier Solana le lendemain et la magistrate Christine Matray le surlendemain. Si le journaliste impressionne, c’est bien pour cette capacité de passer avec la même aisance d’un dossier à l’autre, comme s’il l’avait suivi depuis toujours. Le reste relève surtout d’une excellente technique d’interview, avec une façon de poser des questions claires pour les auditeurs aussi ( » Je les écris la veille, mais, une fois en studio, je ne les lis jamais !  » dit-il), d’aller dénicher au plus vite ce que l’invité a de plus pertinent à dire et de le pousser fermement mais sans violence dans ses retranchements. Une autre prouesse, pas toujours réussie celle-là, perdra sa raison d’être dès le 22 mars : parvenir à clore l’entretien juste avant le couperet publicitaire. Combien d’invités, à l’instar du ministre Jean Gol, ne se sont-ils pas étranglés de rage face à l’intempestive et grossière amputation de leurs derniers mots. Tant que plusieurs chaînes radio partageaient le même journal de 8 heures, l’ordinateur lançait les publicités en automate borné qu’il est. Avec l’autonomie de La Première, dès lundi prochain, une petite souplesse sera enfin tolérée…

Jean-Pierre Jacqmin est dans ses sujets comme un poisson dans l’eau, parce qu’il est tombé dans le bocal voici vingt ans. C’étaient, pour lui, les années  » entre gauchisme et romantisme « , avoue-t-il. L’époque des sciences politiques et du journalisme à l’ULB, des collaborations occasionnelles au Soir et à La Cité, de la moto, du look blouson de cuir-boucle d’oreille, et du service civil, comme objecteur de conscience, à la  » documentation de l’information  » de la RTBF. Huit heures quotidiennes de lecture des journaux et de constitution de dossiers, ça vous donne forcément un solide bagage en matière d’actualité. De quoi réussir l’examen de journaliste du service public en 1987, pour travailler dans les coulisses de L’Ecran Témoin. Le vrai baptême, en radio, viendra cinq ans plus tard avec son reportage, en direct des Etats-Unis, du voyage de Dirk Frimout dans l’espace, un domaine qui passionne le journaliste. Jacqmin décolle lui aussi. Affecté à la tranche  » infos  » du matin, il croque les invités, sans encore les interviewer, dans des petits portraits impertinents. Les portraits ont disparu, le portraitiste est resté. Depuis qu’il joue en solo, quelque 1 500 personnalités ont défilé devant son micro.  » Neuf fois sur dix, les invités sont sollicités le jour précédent, en fonction de l’actualité, explique-t-il. J’essaie d’équilibrer les sujets abordés pour ne pas traiter seulement des questions politiques.  » De ce côté-là, la pénurie d’invités n’est pas à craindre.  » Je reçois dix fois par jour des demandes pour passer dans l’émission…  »

Comme à l’époque de Nicole Cauchie û une référence en matière d’interview à la RTBF û, l’entretien matinal a pris sa place, un peu comme une institution, dans la vie publique. Cette manière d’y pratiquer  » la pédagogie des enjeux  » et le débat démocratique justifierait déjà à elle seule la radio de service public. Certes, c’est aussi û avec l’émission analogue de Catherine Brahy sur Bel-RTL û le lieu médiatique où les politiques doivent se produire pour exister. Des interviews-vitrines ? Jacqmin, qui ne déteste pas entretenir sa propre notoriété, sait bien que les hommes et les femmes politiques sont obsédés par leur image et qu’il joue malgré lui dans cette stratégie.  » Parfois, je me demande même si mon impertinence n’est pas qu’un faire-valoir pour eux. « . Impertinence ? Le terme est un peu exagéré. Mais du mordant, de la distance, voire une pincée de provocation, il en a sans conteste. Personne ne lui en tient rigueur au point de ne plus vouloir revenir,  » mais tous les partis ont déjà écrit à l’administrateur général pour se plaindre « , précise-t-il, sourire en coin. Certains auditeurs critiques lui trouvent quand même un ton bien plus conciliant avec les apparatchiks socialistes. Etiqueté PS dans les fiches de la RTBF, le journaliste refuse en tout cas d’assumer une quelconque filiation politique.

Têtu ? Gaumais !

Chez Monsieur et Madame Jacqmin, le réveil sonne à 5 heures. A pied d’£uvre dès 6 heures à Reyers, l’interviewer consulte les infos et accueille son invité vers 7 h 15 pour partager croissants et café. En principe, du moins. Car, si Louis Michel débarque dès 6 h 30, Joëlle Milquet arrive à la dernière seconde avant l’émission, Pierre Hazette, bloqué dans un bouchon, répond par GSM, et Frank Vandenbroucke ne vient pas du tout, faute de s’être réveillé… Jean-Pierre Jacqmin ne retrouvera le domicile ucclois et ses fils de 8 et 5 ans que vers 16 h 30, quand s’achèvera sa journée. Entre-temps, il aura coiffé sa casquette de chef de rédaction, un rôle où il doit encore faire quelques preuves. Son job : définir la ligne éditoriale du jour, assurer la cohérence de ton et de qualité à l’information, arbitrer et trancher. Sur ce dernier point, le chef fait moins facilement l’unanimité. Son obstination sur les mauvaises comme les bonnes idées, et un ego d’une belle dimension lui donnent volontiers la réputation d’un sacré têtu, peu ouvert au dialogue.  » Moi, têtu ? feint-il de s’étonner. Gaumais ! Seulement gaumais…  »

La mue que La première opère dès ce 22 mars ne bouleversera pas les habitudes. Mais il y a quand même du neuf, avec le souci de développer davantage l’information et d’être plus à l’écoute des questions du public. La culture va se décliner autrement et les magazines sportifs émigrent vers la nouvelle chaîne Vivacité.

Jean-François Dumont

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