Jean-Jacques Viseur : » Bruxellois : venez à Charleroi ! «
Pour le bourgmestre CDH de Charleroi, c’est en attirant de nouveaux habitants, par milliers, que la ville pourra se redresser.
Est-ce dû à l’ambiance méditerranéenne qui règne à Charleroi ? Son bourgmestre se compare tantôt à un dictateur de la Rome antique (Fabius Cunctator), tantôt à une vedette du foot italien (Paolo Maldini). A 64 ans, Jean-Jacques Viseur se pose en chef de transition, dépourvu d’ambition personnelle et tout dévoué à sa mission : remettre Charleroi sur les rails. La tâche n’est pas mince, et il lui reste moins de deux ans pour la mener à bien.
Le Vif/L’Express : Charleroi, déjà malmenée par le déclin de l’industrie lourde, subit de plein fouet la crise économique. De quoi céder au désespoir ?
Jean-Jacques Viseur : Non, je ne suis pas sûr que la crise actuelle va provoquer les mêmes drames que celle des années 1970, qui a totalement déstructuré Charleroi.
Vous n’êtes pas non plus certain du contraire.
Non… Mais face aux mutations que nous impose la crise, soit on agit, soit on subit. A Charleroi, ces trente dernières années, on a surtout subi. L’équipe précédente n’a pas été guidée par une volonté de redéploiement. Pourtant, le déclin n’est pas une fatalité. Nous devons tirer parti d’un mouvement général, le retour des citoyens vers la ville, et faire de Charleroi la première ville-support francophone par rapport à Bruxelles. Plusieurs études indiquent que la population bruxelloise va augmenter de 250 000 habitants dans les vingt prochaines années. Bruxelles est incapable d’absorber un tel choc démographique.
En résumé, vous dites aux Bruxellois : » Venez vivre à Charleroi ! «
Evidemment. Ils vont devoir venir… La rente foncière bruxelloise, relativement faible par rapport aux autres capitales européennes, va exploser. D’où l’importance des villes-supports, comme on en trouve autour de toutes les métropoles.
Charleroi deviendrait la banlieue sud de Bruxelles ?
Voilà ! Mais tout en offrant tous les services d’une vraie ville. Si on réussit ce défi-là, Charleroi peut retrouver sa prospérité d’il y a cinquante ans. Nous sommes aujourd’hui repassés au-dessus des 200 000 habitants. Mais l’augmentation actuelle, environ 1 000 habitants en plus chaque année, reste trop faible. Le mouvement doit s’accélérer. C’est une condition sine qua non du redéploiement. L’idéal serait d’arriver à 230 000 habitants.
Tant qu’elle conserve cette réputation de Chicago-sur-Sambre, Charleroi ne peinera-t-elle pas à attirer de nouveaux habitants ?
C’est une évidence. Mais nos efforts portent leurs fruits : la courbe de criminalité se tasse très fort. Le nombre de vols dans les véhicules, par exemple, a diminué de 30 % entre 2008 et 2009. On est en train de réaliser notre objectif : rendre Charleroi plus sûre que la moyenne des villes wallonnes.
La crise ne risque-t-elle pas de renforcer, dans votre ville, les replis identitaires et les intégrismes ?
Je ne crois pas. Le dialogue interreligieux atteint, à Charleroi, un niveau unique en Belgique. Entre les prêtres catholiques, les pasteurs, le rabbin et les imams, le dialogue est permanent. Pendant le ramadan, j’ai plusieurs fois été invité à la rupture du jeûne : tous les discours prononcés à cette occasion étaient anti-extrémistes.
L’intégration se passe mieux à Charleroi qu’à Bruxelles ?
Elle se passe mieux à Charleroi, même si ça devient plus difficile. Parce que la dernière vague d’immigration, venue d’Afrique du Nord et de Turquie, a été marquée par la crise économique des années 1970. Elle a amené des personnes issues de sociétés centrées sur le rôle du père. Du coup, quand le père a perdu son emploi, cela a provoqué une détérioration sociale très importante. Le père dévalorisé, c’est trop souvent le fils aîné qui s’est substitué à lui, avec une vision pas toujours très intégrée de la société. Parallèlement à ce constat, je crains qu’un certain nombre de quartiers ne soient des ghettos…
Il y a des ghettos à Charleroi ?
Oui. Avec, parfois, une opposition entre Turcs et Marocains.
Dans quels quartiers, par exemple ?
Marchienne, Dampremy… Ce sont les endroits les plus pauvres de Charleroi. Les illégaux y constituent une proie facile pour les trafiquants de drogue. Ils font du trafic pour survivre. L’an passé, j’ai donc mené une opération à Marchienne pour casser ces deux phénomènes : illégaux et drogue. On a agi avec l’appui des communautés turque et marocaine, qui jugeaient nécessaire d’assainir le quartier.
La tripartite PS-MR-CDH est-elle handicapée par les tensions entre les échevins Paul Ficheroulle et Eric Massin, qui ambitionnent tous deux de vous succéder en 2012 ?
Il faut beaucoup de psychologie et de doigté pour que ces rivalités naturelles n’empiètent pas sur le fonctionnement du collège. C’est difficile, je ne le cache pas. Malgré tout, ça n’a pas freiné les grandes décisions. Je compare mon rôle à celui de Paolo Maldini à l’AC Milan : un joueur en fin de carrière, capable d’assurer la cohésion entre plusieurs personnalités qui vont jouer un rôle clé dans les prochaines années, mais qui pourraient se neutraliser s’il n’y avait personne pour gérer ces tensions.
On vous renvoie sans cesse à la figure vos fameuses 800 voix aux élections communales de 2006. Vous n’en avez pas assez ?
Ce n’est même pas 800, mais 762 voix ! Ce qui me manquera toujours, c’est une légitimité naturelle tirée de mon résultat électoral. A circonstances exceptionnelles, réponse exceptionnelle. Il fallait à la tête de la majorité un homme de transition, qui annonce, dès l’abord de la législature, qu’il ne serait pas candidat en 2012. Mon modèle, c’est un leader politique de l’Antiquité, Fabius Cunctator. A un moment, Rome est déséquilibrée : la bataille de Trasimène vient d’avoir lieu, Hannibal menace de s’emparer de la ville. Les consuls font alors appel à quelqu’un qui n’a pas de légitimité, mais qui accepte d’assumer la lutte contre Hannibal, pour une période limitée. Dès qu’il a terminé sa mission, Fabius Cunctator retourne à ses champs. Ma prétention, c’est qu’à la fin de cette législature la mutation aura eu lieu : Charleroi sera de nouveau prête à assumer son rôle de première métropole de Wallonie.
ENTRETIEN : FRANçOIS BRABANT
Charleroi est la première ville-support francophone
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