» Je suis franc-maçon « 

Le Vif/L’Express a sollicité plusieurs politiques pour s’exprimer sur leur engagement maçonnique. Aucun n’a nié son adhésion, mais la plupart ont refusé de s’en ouvrir. Louis Michel, député européen MR, en parle pour la première fois publiquement, et en toute modestie.

Le Vif/L’Express : Pourquoi avoir intégré la franc-maçonnerie ?

– Louis Michel : Je connaissais la franc-maçonnerie de façon informelle et, comme tout le monde, j’avais entendu les rumeurs qui circulent à son propos. Jean Gol et André Cools sont les premiers à m’en avoir parlé sincèrement et ouvertement. J’ai voulu la connaître. J’ai été attiré par le travail sur soi et les idées des autres que permet la maçonnerie.

Votre entrée ne s’est pas faite comme une lettre à la poste.

– Non, en effet. Ma première candidature a été refusée. Je n’ai pas reçu d’explications. En tout cas, je n’ai pas atteint le quorum de voix nécessaire. Puis, à plus de 45 ans, j’ai été initié au Juste Milieu, une loge du Grand Orient.

Donc, après votre ascension politique ?

– Vous savez, contrairement à ce qu’on imagine, il est plus difficile pour un homme ou une femme politique d’être admis dans la franc-maçonnerie. Les maçons vous soupçonnent davantage d’opportunisme, de calcul, d’y venir chercher autre chose qu’un travail sur soi – alors que la franc-maçonnerie exige de la patience et une profonde motivation. D’ailleurs, mes parrains n’étaient pas des hommes politiques.

Votre agenda est bien rempli. Cela laisse peu de temps pour réfléchir en loge.

– Mon activité politique me prend énormément, j’ai donc très peu de temps pour participer aux réunions – ça commence à dater ! Par contre, je fréquente des fraternelles (NDLR : qui permettent à des maçons de se retrouver autour d’idées communes), où je m’exprime sur un sujet donné, en dehors de tout rituel. Et lors de mes déplacements à l’étranger, je cale un moment dans mon planning pour visiter des maçons, notamment en Afrique. Là-bas, je rencontre des frères qui ont fait leurs études à l’ULB et qui ont ramené dans leurs bagages le libre examen.

De nombreux politiques sont maçons ?

– Il y en a, et vous le savez très bien. Mais les maçons repèrent vite ceux qui veulent tirer parti sans rien donner. De leur côté, des politiques doivent aussi faire face aux sollicitations de frères. Au-delà de ces considérations, est-on politique parce qu’on est maçon ou maçon parce qu’on est politique ? Personnellement, je pense que lorsque l’on s’engage, dans la société politique, à améliorer l’égalité des droits, le bien-être des hommes, devenir maçon est un prolongement naturel. En effet, la maçonnerie abrite en son sein, il est vrai, des médecins, avocats, enseignants, syndicalistes… Ces professions tournées justement vers les autres sont plus enclines à en être.

Que vous a apporté la franc-maçonnerie ?

– Mon entrée en maçonnerie fut une découverte positive, et je m’y trouve bien. Elle m’a apporté bien plus que ce à quoi je m’attendais, m’a permis de voir clair sur des questions de société ou de morale, d’être en adéquation éthique avec ce que je fais. Il y a des choses que je ne ferai plus ou ne dirai plus comme avant. La maçonnerie m’a transformé.

Concrètement ?

– L’obligation d’approfondissement de soi, de perfectionnement pour soi-même et pour l’humanité : cette dimension immatérielle m’anime, elle me sert de support éthique. Un exemple ? Je dis toujours la vérité scientifique dans un dossier. Puis j’ai éprouvé dans la vie un besoin de sens – il concerne tous les humainsà Dieu, pas Dieu, la vie, la mort : mes réflexions ne sont pas achevées ; la franc-maçonnerie est le lieu où l’on peut approfondir ces questions, hors du temps et en dehors des grandes religions.

Votre engagement maçonnique s’imprime-t-il dans votre action politique au Parlement européen ?

– Comme je vous le disais, on n’est pas seulement maçon en loge, mais aussi dans la vie de tous les jours. J’ai des réflexes qui fonctionnent bien, en défendant des valeurs humanistes. Alors oui, je fais barrage à ceux qui pourraient mettre en danger ces valeurs, le libre arbitre, la liberté de conscience, l’égalité devant les lois. Qui ? Par exemple, les lobbys religieux au sein du Parlement européen. D’ailleurs, l’esprit maçonnique est au c£ur de mes discours, et j’en grossis volontiers les traits. Quand je rencontre des jeunes, j’essaie de leur transmettre cet idéal, sans leur dire mon appartenance – c’est inutile. Ainsi l’universalisme me tient fort à c£ur, et je leur pose toujours cette question : dans l’histoire, citez-moi une seule bonne raison pour modifier les frontières géographiques d’un pays ? Il n’y en a aucune, sauf l’intolérance et l’avidité ! Il y en a toujours, des jeunes qui en trouvent, comme il s’en trouve qui considèrent l’élargissement de l’Union européenne à l’Est contre nature. Mais nous faisons tous partie d’un même univers.

Votre obédience, le GO, refuse d’affilier les s£urs d’autres loges et d’initier des femmes. Votre position ?

– J’ai une position modeste au sein de la franc-maçonnerie et je ne participe pas à ces discussions… D’ailleurs, j’en parle ici avec toutes les réserves d’usage et de modestie. Pour autant, la mixité est un paramètre de la laïcité, si chère à nous, maçons. Il y a donc une contradiction évidente entre les combats de pointe que la maçonnerie a souvent menés, et cette situation. Personnellement, je ne vois aucun contre-argument à cette mixité. En tout cas, le travail en loge peut parfaitement se vivre avec des frères et des s£urs, ensemble.

Cette question de l’admission des femmes n’est-elle pas fondamentale ?

– Je ne suis pas un fighter dans les débats qui animent les loges. Et puis la maçonnerie m’a apporté beaucoup, je ne veux donc pas apporter ni jugements de valeur ni jugements définitifs. Je vous ai répondu : pour moi, rien n’empêche la mixité et, comme vous, certaines choses peuvent me froisser.

Quoi ?

– L’anticléricalisme pouvait se comprendre au siècle dernier, car l’Eglise faisait preuve d’une grande agressivité à l’égard de ceux qui ne pensaient pas comme elle. D’où une saine réaction de la maçonnerie. Tout le monde sait que je suis un laïque : la laïcité est la seule organisation sociale qui garantit le respect des cultes dans la sphère privée ; elle n’étouffe pas les religions ! Mais j’ai rencontré parmi des maçons des esprits anticléricaux. Cela me heurte. Attention, je ne dis pas que tous les frères sont des rabiques – on fait bien autre chose en loge que piétiner l’Eglise -, mais recaler un candidat sous prétexte que ses enfants sont baptisés, c’est arrivé et c’est moche ! L’anticléricalisme de certains, comme la non-mixité et la tradition du secret peuvent agir comme des repoussoirs, entre autres auprès des jeunes.

Que la franc-maçonnerie reste si discrète, cela vous dérange ?

– Je trouve dommage qu’elle conserve ce sens de la discrétion et du combat sous-terrain. Elle s’exprime trop peu à l’extérieur ; en s’extériorisant davantage, elle aurait tout à gagner. Car je suis convaincu que cette discrétion l’empêche de rayonner.

Pourquoi ne pas avoir nié votre appartenance comme vous le permet le serment du secret ?

– Vous m’avez demandé une interview et je réponds à vos questions. Ce qui est interdit, c’est de dire que quelqu’un est franc-maçon s’il ne l’a pas souhaité. Moi, je le fais, parce que j’estime que je n’ai pas à avoir peur, et qu’il n’y a rien de honteux à en être.

Entretien : SORAYA GHALI

 » on n’est pas seulement maçon en loge, mais aussi dans la vie de tous les jours « 

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