» Je ne suis pas une serial prescripteur « 

Fin 2005, les médecins avaient protesté et soutenu une collègue généraliste, contrôlée par l’Inami pour des prescriptions considérées comme  » fautives « . Manifestement, leur colère ne s’éteint pas. Une doctoresse raconte ici pourquoi

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Comme tous les médecins, j’ai reçu début janvier une lettre de l’Inami reprenant le pourcentage de médicaments bon marché prescrits au cours du second semestre de 2004 (mon profil de prescription). Parallèlement, je lis et j’entends un peu partout des propos réducteurs selon lesquels  » les docteurs prescrivent trop peu de génériques  » et seraient  » loin du compte  » par rapport au pourcentage exigé par nos dirigeants. Les autorités de santé exigent en effet un pourcentage de prescription de médicaments  » bon marché  » : 27 % au moins pour les généralistes. Or, d’après les calculs de l’Inami, leur moyenne nationale serait de 20,5 %. Sommes-nous vraiment si loin du compte ?

En réalité, pour la période concernée, aucune exigence d’un pourcentage ne pesait encore sur nous. Mais, surtout, il est bon que le public sache que les chiffres actuels de l’Inami sont… faux. Quelques exemples suffisent à le démontrer. Ainsi, ce calcul du pourcentage de médicaments bon marché incorpore les produits pour lesquels… il n’existait pas encore d’alternative générique ou bon marché au 31 décembre 2004. Pour le moins, voilà qui fausse déjà les résultats ! Par ailleurs, l’Inami ne tient compte que des spécialités remboursées : or il existe des substances génériques non remboursées, mais prescrites par les médecins. C’est le cas d’un grand nombre de tranquillisants ou de somnifères ou, encore, des mucolytiques. Si on prenait en compte ces produits, le pourcentage de médicaments bon marché prescrits augmenterait forcément.

Surprise, aussi : nous avons également reçu la liste des 20 médicaments soi-disant les plus souvent prescrits. Bon nombre de médecins y ont vu figurer des produits qu’ils ne donnent jamais, ou presque. Cela en dit long sur la validité des chiffres transmis à la presse et qui jettent le discrédit sur notre profession. En effet, ils laissent entendre, comme d’habitude, que les médecins sont des  » serial prescripteurs « , inconscients et gaspilleurs !

Autre aberration : lorsqu’un médecin indique seulement, sur une ordonnance, le nom d’une substance plutôt que le nom de marque du produit (à charge du pharmacien de choisir le médicament le moins cher), l’Inami considère que cette forme de prescription, dite en DCI (dénomination commune internationale), fait partie de celles considérées comme bon marché. Tant mieux pour le médecin et pour son pourcentage à atteindre ? Admettons ! Mais, en réalité, on peut prescrire en DCI des médicaments coûteux pour lesquels il n’existe aucune alternative bon marché. Il n’y aura donc là pas de réelle  » économie  » pour le patient ou pour l’Inami.

En fait, l’exigence sèche d’un pourcentage de médicaments bon marché (avec des sanctions déjà prévues pour ceux qui ne les respecteraient pas) correspond à des objectifs purement financiers. Le fond de ma pensée ? Pour nos autorités de santé, la règle actuelle ne concerne pas le bien du patient. Il s’agit, plutôt, de réduire simplement le coût immédiat des prescriptions et de respecter les impératifs budgétaires. Or, en matière de santé, le principal objectif à viser, c’est un niveau de qualité de soins. Les dépenses qui y sont liées ne doivent venir qu’en seconde intention. L’essentiel, pour un médecin, n’est pas de prescrire  » bon marché « , mais de soigner ses patients de la façon la plus appropriée. On peut prescrire 50 % de médicaments à coûts réduits mais les donner à mauvais escient…

Voilà pourquoi il faudrait que nos dirigeants cessent de prendre des décisions basées sur l’évaluation des moyennes brutes de dépenses (d’ailleurs calculées de manière erronée !) et cherchent à établir avec les gens de terrain les liens entre les dépenses, les processus de soins utilisés et les résultats de ceux-ci. Ou, alors, d’avoir l’honnêteté de dire :  » Nous ne voulons plus assumer l’entièreté du coût des prescriptions aux patients « , au lieu de  » Les médecins prescrivent trop et trop cher « .

Elide Montesi

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