INVENTER UNE AUTRE EUROPE

David Cameron scandant un  » Je n’aime pas Bruxelles, mais j’aime la Grande-Bretagne « . Angela Merkel passant commande sous l’aubette d’une friterie renommée. Ces deux images, que l’opinion publique a retenues comme autant de buzz du dernier sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, resteront aussi comme les symboles de la fracture sans précédent que l’Union européenne, vieille de près de 60 ans, connaît aujourd’hui. Quand le premier fanfaronne et vitupère de façon infantile, la seconde relativise et prend une distance salutaire face aux événements.

Le Premier ministre britannique et la chancelière allemande sont pourtant issus du même hémisphère politique. Mais la droite en Europe, hors sa frange extrême, s’est depuis longtemps scindée en deux tendances que l’engagement européen distingue. Les Tories de Cameron adhèrent au Parlement au groupe des conservateurs et réformistes européens et y côtoient, à côté de la N-VA, des formations aussi populistes et eurosceptiques que le Parti du peuple danois, les Vrais Finlandais ou les Polonais de Droit et Justice. Il n’est donc pas étonnant qu’une fronde au sein de son propre gouvernement ait accueilli le discours triomphaliste du Premier ministre malgré le  » statut spécial  » qu’il aurait arraché au sommet de Bruxelles.

La gravité historique des décisions du 19 février ne réside pas tant dans la nature des concessions que les 27 ont faites à Londres que dans l’esprit qui a présidé à leur délivrance. Somme toute, le Royaume-Uni et d’autres pays bénéficiaient déjà de dérogations ; la zone euro ou l’espace Schengen démontrent que l’Europe vit déjà à deux vitesses ; et le président du Conseil Donald Tusk peut prétendre que l’accord a été forgé  » sans concession sur les valeurs fondamentales de l’Union « . C’est en revanche la première fois dans l’histoire de l’édification européenne qu’un Etat membre aussi puissant réclame des exemptions pour se prémunir d’éventuelles futures avancées fédéralistes. En ce sens, la bataille pour le référendum du 23 juin prochain, quel que soit son résultat, marque une rupture irrémédiable.

Le temps de l’Europe qui gagnait en influence, d’adhésion en adhésion, à laquelle le ralliement de la Turquie apporterait une nouvelle dimension, qui ne cessait d’engranger des avancées politiques à l’ombre d’une inexorable prospérité économique… est bel et bien révolu. Sans doute, les dirigeants européens n’ont-ils pas suffisamment écouté ceux qui, à l’époque, privilégiaient l’approfondissement de la construction européenne à son élargissement. Les crises de ces dernières années leur ont donné raison. La débâcle des banques et de la dette publique, la priorité aux égoïsmes dans l’accueil des migrants ont amplement démontré que la solution réside dans un surcroît de coopération communautaire plutôt que dans les incohérences de  » cavaliers seuls  » nationaux.

Une consultation populaire ne peut que servir la démocratie si les enjeux de son objet sont clairement et équitablement expliqués. En l’occurrence, David Cameron apparaîtra difficilement comme le meilleur avocat du maintien de son pays dans une institution dont il exècre tant certains acquis. Ce n’est donc pas, comme il en avait la prétention, une Europe plus forte qu’il aura réussi à forger mais, malgré lui et peut-être sans lui, une Europe plus réaliste. Désormais, le salut de la nouvelle Union européenne passera par son noyau dur et, autour de celui-ci, par un projet motivant à réinventer.

de Gérald Papy

 » Ce n’est pas une Europe plus forte que Cameron aura réussi à forger mais, malgré lui, une Europe plus réaliste  »

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