Intouchables, les journalistes ?

Ettore Rizza
Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

 » Plus que jamais, il faut regretter l’impunité pénale qui profite au journaliste. (…) Le parquet s’honorerait, en l’espèce, de déroger à ce régime d’impunité tant cette fois, toutes les limites de l’indignité ont été franchies.  » Marc Uyttendaele, dans différents médias depuis le début de l’affaire Wesphael.

Marc Uyttendaele a multiplié récemment les sorties sur le drame brumeux qui a frappé le couple Bernard Wesphael-Véronique Pirotton. Le célèbre avocat n’en démord pas : l’arrestation du député wallon, ex-Ecolo et unique représentant du Mouvement de Gauche, aurait exigé une levée de son immunité parlementaire au sein des deux assemblées dans lesquelles il siège. A ses yeux, elle bafoue donc un principe de droit fondamental et risque d’entacher les actes d’enquête accomplis depuis. Mais Marc Uyttendaele va plus loin. Il dénonce également le traitement médiatique que certains journaux ont accordé à l’affaire, allant jusqu’à parler de  » délit de presse « . Et de regretter que ce genre de délit bénéficie d’un privilège de juridiction qui, dans les faits, conduit à une forme d’impunité pénale. Ces propos ont été répétés dimanche dernier lors des deux débats dominicaux. Ce faisant, le médiatique avocat induit dans l’esprit du public l’idée que les journalistes trônent au-dessus des lois et n’ont de compte à rendre en justice.

INCOMPLET Professeur à l’ULB spécialisé en la matière, Marc Uyttendaele connait évidemment la Constitution sur le bout des doigts. Notamment son article 150 qui stipule :  » Le jury est établi en toutes matières criminelles et pour les délits politiques et de presse, à l’exception des délits de presse inspirés par le racisme et la xénophobie.  » Les exceptions mentionnées n’ont été introduites qu’en 1999. Hormis ces deux cas particuliers, seules les assises peuvent donc juger un présumé délit de presse, à savoir  » l’expression délictueuse d’une opinion dans un texte reproduit au moyen de la presse ou d’un procédé similaire  » (1). Pour le Constituant de 1831, il s’agissait de défendre le contre-pouvoir et la liberté d’opinion, tout comme l’immunité parlementaire protège les législateurs des abus possibles du pouvoir judiciaire.

Il est exact que la lourdeur et le coût de la procédure conduisent le plus souvent la justice à y renoncer, ce qui entraîne dans les faits une forme d’impunité pénale. Depuis 1945, un seul délit de presse a été jugé devant une cour d’assises, en 1994 à Mons. Encore s’agissait-il d’une distribution de tracts racistes, passible depuis du simple tribunal correctionnel.

Mais le constitutionnaliste omet de mentionner un détail : la presse reste soumise au Code civil. Comme quiconque, elle est tenue de réparer les éventuels dommages causés à un tiers (article 1382). Or, depuis quelques années, certaines indemnisations obtenues au civil à la suite d’articles de presse ont pris des proportions qui dépassent la simple réparation. Elles en deviennent, aux yeux de certains juristes pourtant critiques envers ce privilège, un palliatif à l’irresponsabilité pénale qui confèrerait  » aux dommages-intérêts – de manière peut-être inconsciente – un caractère non seulement compensatoire, mais également punitif.  » (2)

C’est ainsi qu’en janvier dernier, Yves Desmet, rédacteur en chef du quotidien flamand De Morgen, s’est vu condamné devant le tribunal civil de Malines pour un éditorial qui égratignait un magistrat anversois. A l’euro symbolique, mais condamnation tout de même. C’était loin d’être le cas pour trois collaborateurs du Het Laatste Nieuws, contraints en 2009 à verser plus de 500 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à l’honneur et à l’image du manager et ancien coureur cycliste Patrick Lefevere. Le montant que le tribunal de Bruxelles avait accordé au plaignant était toutefois, il est vrai, inédit.

(1) goo.gl/iNO0LF/

(2) goo.gl/XZgmjd/ Source principale : presse-justice.be, goo.gl/ZmvG1j/

Ettore Rizza

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