Into the Wilde

A Paris, une exposition rend hommage à la vie et aux écrits d’Oscar Wilde, impertinent fantasque et dandy magnifique de la scène artistique et mondaine de la fin du XIXe siècle.

« Une bonne réputation ? C’est une des nombreuses contrariétés à laquelle je n’ai jamais été soumis.  » De quel oeil Oscar Wilde verrait-il cette panthéonisation ? Lui, l’excentrique impossible qui n’a cessé de tordre les bons principes de la société victorienne, lui le dramaturge censuré, l’homosexuel crucifié, transformé aujourd’hui en un objet de conservation, voire de valorisation touristique dans un grand musée parisien ? Le paradoxe est piquant ; il est, à vrai dire, une confirmation à échelle muséale de tous ceux qui n’ont pas manqué de jalonner l’existence de l’écrivain terrible. Une posture visible dans son art de l’aphorisme – l’un de ses tickets les plus évidents pour la postérité. Le génial Irlandais savait décocher des sentences décalées et définitives sur tous les sujets. La procrastination ?  » Je ne remets jamais au lendemain ce que je puis faire le surlendemain.  » L’égocentrisme ?  » S’aimer soi-même, c’est se lancer dans une belle histoire d’amour qui durera toute la vie.  » La transgression ?  » Les femmes ont beaucoup plus de chance que les hommes sur cette Terre, beaucoup plus de choses leur sont interdites.  » La banalité crasse de ses concitoyens ?  » La modération est une chose fatale. Rien ne réussit plus que l’excès.  » Le temps qui aplanit tout est passé sur ses outrances : le voici, après Londres, objet d’une grande exposition d’hiver à Paris, ville dans laquelle, parfait francophile, il a d’ailleurs régulièrement trouvé refuge.

Exposer un écrivain : le pari est toujours aussi séduisant que profondément suspect. Peut-on réellement montrer l’écriture, procédé aussi impénétrable que peu spectaculaire ? Bien sûr, l’exposition du Petit Palais présente sous des vitrines les traditionnels manuscrits autographes, exemplaires dédicacés et premières éditions des poèmes à même d’émouvoir les bibliophiles. Elle convoque aussi rapidement la mythologie wildienne au secours de l’aridité redoutée du matériau, comportant son lot d' » objets ayant appartenu à « , effets personnels et memorabilia pour fétichistes – ses tout premiers portraits en petite robe bleue, sa timbale de baptême ou, plus bouleversant, l’enveloppe décorée de sa main d’enfant et dans laquelle il conserva toute sa vie une mèche de cheveux de sa soeur morte à l’âge de 9 ans.

L’art pour l’art

L’exposition est aussi aidée par le profil caméléon de son héros. Homme de lettres foncièrement polymorphe (romancier, poète, dramaturge, essayiste, conteur), esthète pétri de culture classique toute sa vie guidé par une philosophie du beau et du plaisir, ce fils de chirurgien et d’une poétesse a également toujours poursuivi un profond désir de correspondance entre les arts. Très tôt fasciné par les actrices (Sarah Bernhardt est une amie), Wilde (né dans la bourgeoisie protestante de Dublin, le 16 octobre 1854) acquiert d’abord une notoriété en tant que poète et critique d’art, participant de la mouvance préraphaélite alors en vogue en Angleterre (ce courant artistique tient la peinture des maîtres italiens du XVe siècle, prédécesseurs de Raphaël, comme le modèle à imiter). Une section de l’exposition rassemble ainsi certains tableaux montrés à la Grosvenor Gallery entre 1877 et 1879 sur lesquels Wilde s’est exprimé. Watts, Millais, Hunt, Tissot… : dans la succession de petites salles parquetées, on laisse traîner son oeil sur les toiles avec l’impression troublante de pénétrer son cabinet privé. Mises en regard des peintures, ses commentaires sont parfois presque plus beaux que les peintures elles-mêmes, comme pour cet Orphée et Eurydice de Watkins :  » Le corps blanc de la jeune fille mourante se laissant aller comme un pâle lys et les bras enlacés de son amant, dont les vigoureux membres bruns paraissent remplis de toute la splendeur sensuelle d’une vie passionnée, présentent une mélancolique et merveilleuse note de couleur.  » Mais Wilde sait aussi se montrer délicieusement irrévérencieux, comme devant cette censément lumineuse Renaissance de Vénus de Walter Crane :  » Ce qu’il y a de mieux dans le tableau, c’est le pommier.  »

Devenu la scandaleuse coqueluche du Londres mondain, maître avant l’heure du personal branding, le narcisse irlandais prend rapidement conscience d’une part importante de son talent : l’art de se mettre en scène. Lors d’une tournée américaine (l’exposition raconte comment il se lance dans une improbable et épique série de conférences sur l’art, la beauté et la décoration devant, tour à tour, des mormons de Salt Lake City, des Indiens de Sioux City, des mineurs du Colorado…), il se fait par exemple tirer le portrait par le grand Napoléon Sarony – l’exposition en montre 13 tirages originaux. Wilde y pose en dandy pour la postérité en bas de soie, culotte courte, manteau de fourrure, coiffé d’une toque ou d’un chapeau, avec, à la main, un livre ou une canne en ivoire. Les images sont tellement diffusées à l’époque qu’elles sont bientôt détournées à des fins publicitaires pour vendre des gants, chapeaux, tapis, cigares et même une lotion susceptible d’embellir la poitrine : c’est la naissance de la marque Oscar Wilde ! Le procès entamé par Sarony pour violation du droit d’auteur sera d’ailleurs à l’origine des bases du copyright américain…

Hasard ou pas, la question de la représentation et de l’immortalisation sera d’ailleurs au coeur d’un de ses plus grands succès : Le Portrait de Dorian Gray. Explicitement inspiré du manifeste décadent de Huysmans A rebours, le roman est l’histoire d’un jeune homme très séduisant qui fait le voeu que son portrait vieillisse à sa place pour lui permettre de s’adonner à une vie d’excès et de plaisirs. Histoire d’un portrait maléfique à travers laquelle il questionne le beau et le moral, le livre lui vaudra la reconnaissance de ses pairs (cette lettre dithyrambique de Mallarmé). Car derrière ses frasques transparaissent aussi régulièrement l’éducation extraordinaire de Wilde et l’essence d’une véritable pensée philosophique. Il y aura d’autres coups d’éclat. Comme celui, en 1895, de De l’importance d’être constant. Un marivaudage amoureux toujours considéré comme l’une des plus parfaites comédies de langue anglaise.

De l’intérêt du scandale

Il n’empêche : Wilde détonne décidément dans la société victorienne. Celui qu’Edmond de Goncourt décrira comme  » un individu au sexe douteux, au langage de cabotin, aux récits blagueurs  » n’en finit pas de choquer ses contemporains. Comme en 1892 lors de la première de L’Eventail de lady Windermere, à l’issue de laquelle il serait apparu sur scène, une cigarette à la main, pour remercier ses spectateurs. Acte de désinvolture abondamment commenté dans la presse satirique… Epinglé par la critique dès son début de carrière pour ses emprunts éhontés à Keats et Tennyson, Wilde est souvent incompris et régulièrement taxé d’immoralité. L’exposition accorde ainsi une section entière à Salomé, pièce carrément interdite par la censure anglaise qui juge illégal de représenter sur scène des personnages bibliques (elle sera mise en musique par Richard Strauss, en 1907).

Mais c’est par sa vie privée que l’homme sera tragiquement rattrapé. Marié depuis 1884 à Constance Lloyd, père aimant de deux enfants (cette lettre touchante envoyée de Paris à son fils aîné, et dans laquelle il raconte qu’un  » grand poète  » lui a offert un  » merveilleux livre à propos d’un corbeau  » : le grand poète, c’est Mallarmé, le livre, sa traduction du Corbeau d’Edgar Allan Poe !), Wilde poursuit sur le côté des relations homosexuelles passionnées. Une existence double qui lui coûtera très cher.

Lettre d’amour écrite à son amant Alfred Douglas, carte de visite que, apprenant la liaison qu’il entretient avec son fils, le père de Douglas, le marquis de Queensberry, déposera au club dont Wilde était membre pour le perdre en ces termes :  » For Oscar Wilde posing as somdomite (sic) « . Où l’on se rappelle que les écrits intimes deviennent parfois tragiques pièces à conviction. La suite est connue, et bien documentée : attisé par un lord Douglas qui rêvait de faire condamner son père, Wilde portera plainte pour diffamation. L’aube d’un véritable suicide judiciaire dans lequel s’engouffrera toute la cruauté du système victorien. Car c’est Wilde qui sera finalement condamné pour outrage majeur à la société anglaise à deux ans de travaux forcés. Il ne s’en relèvera pas. A sa sortie de prison en 1897, il visite la tombe de son épouse, morte en son absence et qui ne porte plus son nom. Il écrit à un ami :  » Je fus profondément ému, ayant aussi le sentiment de la vanité totale des regrets. Tout ce qui est arrivé devait arriver, la vie est vraiment terrible.  » Wilde échoue alors à Paris, où il sombre dans la déchéance avant de succomber à une méningite en 1900. L’exposition se clôt sur les esquisses réalisées pour sa tombe. Surmonté d’une sculpture de Jacob Epstein représentant Wilde en taureau ailé assyrien, le grandiloquent tombeau est aujourd’hui l’un des plus visités du Père-Lachaise. En 2012, on a même dû y installer des vitres plastiques pour empêcher ses admiratrices d’y déposer des baisers qui avaient fini par littéralement recouvrir la pierre de marques de rouge à lèvres… Aux bien-pensants qui lui reprochaient de ne pas savoir faire comme les autres, Wilde avait cette réponse magnifique :  » Vivre est la chose la plus rare au monde. La plupart des gens se contentent d’exister.  »

Oscar Wilde. L’impertinent absolu, au Petit Palais, à Paris, jusqu’au 15 janvier 2017. www.petitpalais.paris.fr

PAR YSALINE PARISIS, À PARIS

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