Ils ne mangent pas de ce pain-là !

Une immense majorité des malades coliaques ignorent qu’ils le sont. Ils ne savent donc pas que le gluten, présent dans le blé, certaines céréales et, donc, de nombreux aliments, est un véritable poison pour eux. Coup d’oil sur une maladie négligée mais pas sans conséquences

(1) 9, rue des Waides, 4633 Melen. Tél. : 04 377 37 49 ou sbc.tromme@busmail.net

Longtemps, elle a pensé être atteinte de fatigue chronique. Mais elle a  » fait avec « . Et puis, il y a quelques années, le Dr Geneviève Jadoul a découvert qu’en réalité elle était une malade c£liaque. Comme 1 Belge sur 300, elle souffre d’une pathologie, la c£liaquie, due à une intolérance au gluten. Mais, contrairement à beaucoup d’autres personnes, elle le sait : 9 malades sur 10 ignorent souffrir de cette pathologie liée à une prédisposition génétique, présentant des symptômes variables et parfois même… inexistants !  » Le diagnostic n’est pas ardu à poser, remarque-t-elle. En revanche, pour le médecin, ce qui est difficile, c’est d’avoir le réflexe d’y songer et, donc, de faire procéder aux examens nécessaires pour le découvrir.  » Si une c£liaquie est confirmée par ces tests, un seul traitement suffit à faire disparaître, comme par miracle, la maladie : il impose de cesser, pour toujours, de manger toute farine de blé, de seigle, d’épeautre et d’orge contenant du gluten. Ou tout produit en utilisant.

La maladie c£liaque (du grec Koliakos,  » qui appartient aux intestins « ) est restée mystérieuse jusqu’aux observations d’un médecin hollandais.  » Durant la dernière guerre et ses restrictions alimentaires, raconte le Pr Samy Cadranel, pédiatre et président du comité scientifique de la Société belge de c£liaquie (1), il s’est aperçu que les diarrhées graisseuses, les pertes d’appétit des enfants et divers problèmes de santé d’adultes avaient tout bonnement disparu, mais avaient repris avec le retour de l’abondance.  » Cette donnée, couplée à la découverte du gluten contenu dans les céréales, fait farine au moulin. Elle fournit les clés conduisant au traitement adéquat : un régime sans gluten.

En effet, les spécialistes ont compris qu’en cas d’intolérance au gluten, lorsque la gliadine (une portion de sa protéine) entre en contact avec le tube digestif, l’organisme imagine être confronté à un intrus. Dès lors, il fabrique un anticorps dirigé contre ses propres cellules, provoquant, de ce fait, diverses lésions, principalement à l’intestin grêle, visibles grâce aux biopsies. Chez les c£liaques, les villosités qui tapissent cet organe, et qui augmentent la surface d’absorption des aliments, sont détruites. Elles réapparaissent si le gluten est supprimé.

De 20 à 30 % de la population (selon les pays) serait porteuse des gènes responsables de la maladie. Cela ne signifie pas que toutes ces personnes en souffriront.  » Un ou plusieurs facteurs environnementaux la déclenchent sans doute, mais nous ignorons encore lesquels. Un contact avec un virus pourrait être cet élément déclencheur, mais cette piste n’est pas confirmée « , précise le Dr Geneviève Jadoul. Cela explique, en tout cas, pourquoi il n’y a pas d’âge pour souffrir de la maladie c£liaque. Actuellement, elle est détectée en majorité chez des adultes et 20 % des diagnostics sont même posés après 60 ans.

S’il est important de savoir si l’on en est atteint ou pas, c’est que cette pathologie est susceptible d’entraîner plusieurs complications. Elle risque ainsi de provoquer un lymphome, c’est-à-dire un cancer des ganglions lymphatiques.  » Par chance, il s’agit d’un cancer assez rare. Même si son risque est multiplié par 80 chez le patient c£liaque méconnu, ce cancer reste peu fréquent. De plus, cette augmentation du risque disparaît après cinq ans d’un régime sans gluten « , rassure le Dr Geneviève Jadoul. La maladie induit souvent de l’ostéoporose, conséquence d’une carence prolongée en calcium et en vitamine D qui n’ont pu être absorbés convenablement par l’intestin. Chez l’enfant, elle est responsable d’un retard de croissance, avec un risque de petite taille une fois adulte.

Chez les bébés, la maladie apparaît souvent quelques semaines après l’introduction du gluten (vers 6 mois). Parents et pédiatres sont alertés par des diarrhées importantes, des flatulences, une perte d’appétit, des vomissements, un état grincheux, une perte de poids, une cassure de la courbe de poids. Pour l’adulte, une fatigue chronique constitue le symptôme le plus fréquent, provoqué par la maladie c£liaque. Une production anormale de toxines, qui se répandent partout dans l’organisme, risque également d’entraîner des problèmes de peau (avec une dermatite herpétiforme). La c£liaquie peut, également, avoir des répercussions sur le système nerveux central périphérique (avec, par exemple, une perte de sensibilité aux extrémités des membres). Parfois, seule une dépression nerveuse traduit la présence d’une maladie c£liaque : le suicide, avant le cancer, est la première cause de mortalité de ces malades. Les troubles digestifs (diarrhée ou constipation) ne touchent environ que la moitié des personnes concernées. En revanche, elles peuvent connaître de l’anémie, un trouble du côlon irritable, des aphtes chroniques, des douleurs musculaires articulaires, des troubles de la fertilité. Plus souvent que dans le reste de la population, la maladie c£liaque s’associe à d’autres pathologies auto-immunes, comme l’arthrite rhumatoïde, des maladies de la thyroïde ou un diabète insulino-dépendant (qui s’avère alors plus difficile à équilibrer en l’absence d’un régime sans gluten).

Une prise de sang, avec la recherche de certains anticorps, suffit à donner un bon indice de suspicion d’une intolérance au gluten. Une biopsie de la première partie de l’intestin grêle (le duodénum), réalisée chez le gastro-entérologue, confirme le diagnostic.  » Il est important de ne pas se lancer seul dans un régime sans gluten avant ces examens, car cela fausserait les résultats « , rappelle le Dr Geneviève Jadoul. Certains praticiens, parfois proches des médecines parallèles, proposent d’autres tests, non remboursés et très coûteux : actuellement non validés scientifiquement, ils n’auraient que peu d’intérêt, sauf financier, pour ces docteurs. Et ils conduisent souvent à des diagnostics posés de manière excessive…

Handicap social

Or vivre sans gluten, tous les jours et pour toujours, n’est pas facile : pas de pâtisseries, pas de sandwich, pas de plats préparés ou en sauce, pas de bière ni de charcuterie… La liste des interdits est longue et les tentations, permanentes.  » Les c£liaques doivent être très organisés et toujours prévoir leur alimentation, précise la généraliste. Ils seront c£liaques toute leur vie même si, grâce au régime, ils ne sont plus malades. Toute leur existence, ils devront assumer ce handicap social.  » Partager un repas entre amis ou à l’extérieur est difficile, passer son temps à décrypter des étiquettes, pas toujours très claires ni très exactes, fastidieux. Quant aux prochains changements d’étiquetages imposés par l’Europe, ils ne correspondront pas tout à fait à leurs besoins et à leurs souhaits.

La liste des produits spéciaux fabriqués pour les c£liaques s’allonge au fil des ans. Mais le surcoût de ces aliments sans gluten est important, atteignant parfois le décuple de son équivalent  » ordinaire « . Lorsque cette maladie génétique touche plusieurs membres d’une même famille, le prix du  » traitement  » représente donc plusieurs milliers d’euros par an, même si des achats groupés, via l’association des c£liaques (1), donnent droit à des rabais. Dans certains pays, ces aliments spéciaux sont remboursés. Sur l’insistance de la Société belge de c£liaquie (900 membres francophones), une commission de l’Inami étudie la possibilité d’apporter une aide financière spécifique.

Souvent, chez les personnes sans symptômes apparents, ce n’est qu’une fois qu’elles ont appris être c£liaques qu’elles réalisent qu’elles ne vivaient pas bien ou, en tout cas, pas aussi bien qu’ après le retrait du gluten. Néanmoins, le suivi du régime est difficile : à peine 50 % des personnes concernées y parviendraient…  » Il semble que la pose précoce d’un diagnostic éviterait le développement ultérieur d’autres maladies immunitaires. D’autre part, quand la maladie est détectée tardivement, certains symptômes risquent de ne plus pouvoir être supprimés « , souligne aussi le Dr Geneviève Jadoul. Sans aller jusqu’à voir des c£liaques partout, on comprend pourquoi la Société belge de c£liaquie incite les médecins à mettre enfin la main à la pâte. Et à rechercher plus activement ceux… qui ne devraient pas manger de ce pain-là.

Pascale Gruber

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