» Il n’a jamais été aussi sûr d’investir chez nous « 

Le Vif/L’Express a demandé à deux agences de pub d’imaginer, chacune, une campagne pour redorer notre blason. Selon BBDO, c’est à la capitale qu’il faudrait rendre du lustre. Coulisses et résultats du brainstorming.

Concevoir une campagne pour revaloriser l’image de la Belgique ? Arnaud Pitz, directeur créatif de BBDO, l’une des deux plus importantes agences de publicité de Belgique, s’est livré à l’exercice lors d’un intense brainstorming pour Le Vif/L’Express. Avec, à la clé, une idée de campagne  » à la Monty Python  » tournant en dérision les difficultés vécues ces derniers mois par notre pays sous menace 3 ou 4.

 » La réalisation d’une communication aussi large n’est guère aisée, signale-t-il tout de go. Car nous nous adressions potentiellement à deux cibles très différentes : les touristes désireux de visiter notre pays et les entreprises susceptibles d’y investir. Dans notre pays, cela concerne d’ailleurs des niveaux de pouvoir différents.  »

Entre les deux, faut-il trancher ?  » Les investisseurs ne se préoccupent sans doute guère du niveau de la menace, souligne-t-il. Si la fiscalité est favorable, ils viendront. A mes yeux, la Belgique doit avant tout redorer son image pour attirer des touristes. Le secteur de l’hôtellerie est aujourd’hui en grave crise. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas davantage Bruxelles le problème que la Belgique. En décembre, un 5-étoiles au centre-ville valait le prix d’un 4-étoiles en périphérie, 65 euros : il y a un souci.  »

 » Casser les prix n’est pas idéal  »

Priorité, donc, à l’image de la capitale, version glamour contemporaine.

Préambule important : avant de savoir ce que l’on souhaite communiquer, il faut éliminer d’emblée les caractéristiques que l’on ne veut en aucun cas véhiculer.  » Je ne ferais pas une campagne pour dire que les gens ne doivent pas avoir peur, explique Arnaud Pitz. Pour redorer notre image, il faut capitaliser sur les raisons pour lesquelles les gens aiment potentiellement la Belgique. Ce que j’apprécie dans la campagne « Call Brussels » de Visit Brussels (lire aussi page 28), c’est qu’elle part de l’angoisse pour aller vers quelque chose de positif. Quand les passants décrochent le téléphone, ils répondent : « tout va bien », « c’est joli », « les gens mangent du chocolat et des moules, boivent de la bière, dansent encore dans les cafés »… Je ferais donc une campagne sur les valeurs de la fête et de la culture, sur ce qui nous rend beaux et fiers.  »

S’il est difficile de modifier l’image d’un pays ou d’une ville, une autre façon de résoudre les problèmes d’un produit malade serait de faire une promotion : à proscrire !  » Casser les prix, cela marche, mais ce n’est pas idéal parce que l’on détruit un peu notre valeur, prolonge le directeur créatif de BBDO. On se rend un peu cheap, c’est ce que les pays de l’Est ont fait avec des villes comme Riga. Finalement, c’est devenu un city trip où l’on se bourrait la gueule dans des hôtels pas chers avec des bières pas chères en venant avec un Ryanair pas cher… Bruxelles mérite mieux que ça !  »

Replongeons dès lors dans les fondamentaux de la Belgique : l’art de vivre, l’Art nouveau, la BD, le surréalisme et l’autodérision, bien sûr.  » Ce côté second degré est fondamental, je capitaliserais effectivement là-dessus.  » Le brainstorming tourne un moment autour de ces chats apparus sur les réseaux sociaux au moment des perquisitions à Molenbeek, pour ne pas entraver le travail de la police par des fuites intempestives, suivis des remerciements du parquet fédéral sous la forme d’un bol de croquettes. On imagine une campagne avec un parcours de chats dans Bruxelles à la façon du parcours BD. Slogan :  » Venez visiter les chats du #Brusselslockdown.  »  » Ces chats seraient un peu les nouveaux Manneken-Pis, s’amuse Arnaud Pitz. On leur remettrait une médaille dans l’alcôve du Ketje, près de la Grand-Place. Mais je perçois un obstacle : ce n’est pas sûr qu’ils aient une notoriété internationale suffisante. On risque de ne toucher qu’un public de niche.  »

 » Misons sur l’autodérision  »

Alors ? Une campagne datant d’avril 2012, devenue le plus gros succès viral d’une agence belge avec 54 millions de vues sur YouTube, pourrait servir d’inspiration. Cette vidéo visait à lancer la TNT (télévision numérique terrestre) en Belgique (1). Le scénario ? Un buzzer est placé au centre d’une place, dans une  » ville où il ne se passe rien « , avec une invitation à pousser :  » Push to add drama  » ( » Appuyez pour ajouter de l’action « ). La musique est dramatique. Les citoyens tournent autour, hésitent, mais au moment où l’un d’entre eux se décide, tout part en vrille. Une ambulance débarque en trombe, oublie le patient qu’elle transporte sur la route, renverse un vélo… C’est le début d’une bagarre générale.  » Comme pour la campagne de VisitBrussels, c’est le film qui fait le tour du monde, pas le tournage scénarisé ou non « , constate notre créatif.

Pour redorer l’image de la Belgique, en utilisant le second degré, on pourrait dès lors imaginer une série de scènes donnant l’impression que nos villes sont en guerre, que des explosions ont lieu partout… avant de démasquer cette fausse réalité.  » Deux personnes sont en train de manger des frites sur la Grand-Place de Bruxelles, mais tout l’univers qui les entoure est militarisé, imagine Arnaud Pitz. Ce serait une série de scènes à la Monty Python, dans lesquelles la vie normale serait perturbée par des présences loufoques, des événements improbables. Si le film est drôle, bien tourné, je pense qu’il pourrait faire le tour d’une sphère assez large.  »

Ce ne serait au fond, précise-t-il, que la mise en scène de ce que les gens ont dans leur tête.  » Idéalement, dans une stratégie publicitaire, il faudrait parler à des Américains ou des Asiatiques de l’image caricaturale qu’ils ont de la Belgique et la tourner. Pour mieux la détourner.  »

Peut-on imaginer un visuel ?  » Deux personnes boivent à une terrasse, tranquillement, elles sont assises sur des militaires armés, avec en arrière-plan l’hôtel de ville ou l’Atomium.  » Slogan :  » C’est le moment de visiter Bruxelles. Ça n’a jamais été aussi sûr.  »  » Parce que s’il y a bien un moment où il n’y a aucun risque, c’est maintenant, sourit le directeur créatif de BBDO. Je pense que le moment où l’on devra être vraiment inquiet, ce sera quand le niveau de la menace sera retombé et que nous ne serons plus vigilants.  »

Réflexion faite, l’idée pourrait également fonctionner à l’intention des investisseurs. Le visuel serait un vaste terrain dévasté et encadré par des militaires. On insisterait sur les espaces disponibles et la fiscalité attrayante. Slogan :  » Il n’a jamais été aussi sûr d’investir en Belgique.  »

Reste à savoir comment toucher le plus grand nombre de cibles potentielles.  » Si on veut attirer les touristes, il faut communiquer là où ils sont, conclut Arnaud Pitz. Ce peut être via les réseaux sociaux, les sites de réservation en ligne, les agences de voyages… On peut aussi imaginer des affichages dans le métro londonien ou new-yorkais. Mais une fois développée, la campagne sera avant tout envoyée à des gens susceptibles de la relayer sur les réseaux sociaux, qui ont des milliers d’amis sur Facebook ou de followers sur Twitter…  »

En route pour le buzz, avec des millions de vues ?

(1) La campagne TNT : www.youtube.com/ watch?v=UJQWHyWSoiM

Par Olivier Mouton

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