» Il faut revoir la structure du paysage scolaire «
Polémique sur les baptêmes, test d’entrée, refinancement de l’enseignement… Bernard Rentier ne pratique pas la langue de bois. Entretien-vérité avec le recteur de l’Université de Liège qui termine son mandat l’an prochain.
Il revient tout droit de Bruxelles. Appelé au pied levé pour un direct sur RTL. Le thème ? Les baptêmes, bien sûr. » On aura battu tous les records dans les médias « , soupire Bernard Rentier. Pour sa dernière année en tant que recteur de l’Université de Liège, il aurait toutefois rêvé d’une publicité plus flatteuse. D’autant que la polémique a dépassé les frontières liégeoise et belge : l’affaire de l’étudiante française vétérinaire, tombée dans le coma en septembre après avoir été forcée d’ingurgiter de grosses quantités d’eau pendant son baptême, a choqué l’Hexagone. Jusqu’à Ségolène Royal qui s’est fendue d’une missive indignée à Elio Di Rupo.
Sur le bureau de ce biologiste de formation qui entame sa dernière année de rectorat, une épaisse farde bleue compile les courriers reçus depuis lors. Des lettres souvent signées de la main de parents français, assimilant l’ULg au pire endroit où envoyer leurs enfants…
Le Vif/L’Express : La réputation de l’université en a pris un coup, suite à la polémique sur les baptêmes ?
Bernard Rentier : Notre image de marque a été entachée, les réactions se sont multipliées sous le coup de l’émotion. A l’heure où tout devient politiquement correct, les baptêmes sont anachroniques. Le fruit d’une tradition qui doit s’assouplir. Je ne peux pas les interdire : ce serait voué à l’échec. Le seul moyen est de raisonner les jeunes. Il faut intensifier la répression des excès. Il y aura toujours des imbéciles qui ne respecteront pas les règles. Ceux-là, qu’on les attrape et qu’on les punisse sévèrement.
Des étudiants qualifiés de » nazillons « , un moratoire qui n’a suspendu les activités de baptême que durant 24 heures… N’en avez-vous pas trop fait ?
Cela m’a été reproché. Lorsque j’ai appris qu’il y avait eu plusieurs interventions médicales dans la foulée (NDLR : dont une hypothermie à Gembloux), il fallait arrêter par respect pour les accidentés. Le soir même, tous les comités de baptême se sont débrouillés pour se réunir. Tant mieux, cela a produit un électrochoc. Sans cela, il n’y aurait pas eu cette prise de conscience.
La rentrée académique avait pourtant bien commencé, avec la nomination remarquée de six docteurs honoris causa sur le thème de la liberté d’expression…
Effectivement. Puis cet accident s’est produit…
Lors de votre dernier discours de rentrée, vous avez dit vouloir user de votre liberté d’expression et avez plaidé pour l’instauration d’un test d’entrée à l’université.
Je ne veux pas installer de barrières à l’entrée. Mais 60 % des étudiants vont au casse-pipe en 1er bachelier. Il est inacceptable de ne pas agir. Bien sûr, il y a des touristes qui n’ont rien à faire à l’université et qui coûtent cher à tout le monde. Mais il y a aussi ceux qui ne sont pas bien préparés et qui auraient besoin d’un accompagnement particulier.
Accompagner grâce à un test d’entrée ?
Un test d’orientation informatif qui permettrait à ceux qui n’obtiendraient pas de bons résultats d’être redirigés vers une année de préparation pour contourner le problème de l’échec. Une formation qui serait centrée sur l’apprentissage de l’autonomie, du respect des délais, de l’organisation… Bref, tous ces soft skills indispensables qui ne sont pas forcément enseignés en secondaire. Ce test pourrait aussi avoir lieu après la session de Noël, en guise de réorientation.
Une proposition taxée d’inégalitaire par certains.
Les fédérations d’étudiants penseront que l’on crée deux castes. C’est peut-être vrai : toutes les études démontrent que les jeunes qui viennent d’un milieu aisé sont mieux préparés à l’enseignement universitaire. Ces soft skills ne sont pas inculqués dans l’enseignement secondaire, qui peut être inégalitaire. Mais le rôle de l’université est de gommer les inégalités. Peut-être cela pèsera-t-il plus sur ceux qui sont socialement moins aisés. Mais tant qu’à faire 5 années en 6, autant acquérir des compétences supplémentaires. On n’empêcherait personne d’entrer. On offrirait simplement une autre voie pour se préparer. Une année de délestage, pas une duplication du 1er bachelier.
Vous plaidez pour un refinancement de l’enseignement supérieur. Un voeu pieux ?
Je ne crois pas. C’est une question de priorité. On ne peut pas dire que les universités sont indispensables à la relance économique puis ne pas leur donner de financements suffisants. Actuellement, on dédouble tous les moyens entre l’enseignement libre et officiel. Ce n’est pas normal. C’est du gaspillage maximal de l’argent public ! Il serait temps d’y remédier.
Voilà qui fera plaisir aux signataires du pacte scolaire…
Je ne veux pas déterrer la hache de guerre de 1959. Mais il faut revoir la structure du paysage scolaire. Je ne trouve pas normal que des institutions publiques comme la mienne doivent se plier à une série de contrôles alors que les autres ne doivent rien justifier alors qu’elles reçoivent le même argent public.
La Fédération Wallonie-Bruxelles contraint l’ULg à réduire les dépenses liées au personnel. Une économie d’environ 2 millions d’euros par an à réaliser et des contrats qui ne seront pas renouvelés. Une épine dans le pied dont vous vous seriez passé ?
Nous n’avons pas de problème financier, mais il faut éviter, à terme, que ces dépenses excessives liées au personnel en deviennent un si l’on ne prend pas de mesures. C’est tout l’enjeu du refinancement de l’enseignement supérieur. On nous demande de faire aussi bien, si pas mieux, avec moins de monde. Il y a une réflexion profonde à avoir.
Quel bilan tirer à l’aube de votre neuvième et dernière année de rectorat ?
L’université aujourd’hui ne ressemble plus à celle qu’elle était il y a neuf ans. Nous avons réformé et rationnalisé beaucoup de choses. Nous avons pu recommencer à construire, à intégrer de nouvelles facultés (nous sommes passés de 8 à 11). Dès 2004, nous avons réalisé de gros efforts budgétaires pour atteindre l’équilibre. J’ai vécu une période confortable sur le plan financier. Le bémol, pour le futur, c’est qu’à cause de ce système de financement étranglé, nous n’aurons plus l’occasion de développer des nouveautés pendant un moment.
Quel avenir pour un futur ex-recteur ?
Je deviendrai président de la Société libre d’émulation à Liège. Je dois prendre mes fonctions en avril. C’est une vieille dame qu’il faut rajeunir et j’espère en faire une plaque tournante de l’activité culturelle liégeoise qui regroupera toutes les forces en présence. Après une carrière de scientifique, je me dirige vers la culture ! Mais je continuerai à promouvoir la diffusion du savoir.
Entretien : Mélanie Geelkens
» On dédouble tous les moyens entre l’enseignement libre et officiel. C’est du gaspillage maximal de l’argent public ! »
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