Il faut créer de nouveaux produits pour les pauvres

L’Indien Nayan Chanda, auteur de Au commencement était la mondialisation, souligne qu’elle a permis un développement sans précédent de la Chine ou de l’Inde. Mais les Occidentaux ne doivent pas se leurrer ; la pauvreté y frappe encore des millions d’habitants.

Il connaît tout de la mondialisation. Des temps les plus reculés à aujourd’hui. Car pour l’Indien Nayan Chanda, les prémices de ce phénomène, né  » d’un besoin humain fondamental, la quête d’une vie meilleure « , remontent à quelque 4 000 ans avec  » les premiers mondialisateurs « , des marchands partis de Mésopotamie.

Des écrits sur des tablettes d’argile de l’époque en témoignent. Dans Au commencement était la mondialisation (CNRS éditions), Nayan Chanda, docteur en relations internationales et collaborateur à la Far Eastern Economic Review, explique comment le monde est devenu un village global par l’action des marchands, des missionnaires, des aventuriers et des guerriers. Aujourd’hui,  » les multinationales ont succédé aux commerçants qui voyageaient à dos de chameau. Les défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement ont remplacé les prêcheurs. Les touristes et les réfugiés sont les nouveaux aventuriers. Et les guerriers, à part George W. Bush, sont les terroristes d’Al-Qaeda qui mènent des conflits sans conquête de territoires « .

Le Vif/L’Express : Quel bilan tirez-vous de la mondialisation contemporaine ? Vous écrivez qu’entre 1981 et 2001 le pourcentage de la population rurale vivant avec moins de 1 dollar par jour a baissé de 79 à 27 % en Chine et de 63 à 42 % en Inde. Mais le prix à payer n’est-il pas un affaiblissement de la classe moyenne dans les pays occidentaux ?

Nayan Chanda : Le phénomène de délocalisation n’est pas nouveau. Il est beaucoup plus vaste, plus rapide et plus visible aujourd’hui. Au xixe siècle, quand le monopole indien du commerce du textile s’est arrêté brutalement en raison de la révolution industrielle britannique, des milliers de tisserands sont morts. Maintenant, on ne l’accepterait plus. A cause des médias. A cause de la démocratie.

L’Occident presse les pays en voie de développement d’améliorer le sort de leurs populations pour ne pas grossir le flot des migrations. Si un industriel y offre la même qualité de travail à un salaire inférieur de 10 %, cela attire les capitalistes. C’est la loi du marché. Comment réconcilier cela avec la politique d’une démocratie censée contribuer à fournir un emploi et une certaine sécurité à ses citoyens ?

Des pays comme l’Inde et la Chine aspirent aussi à se développer rapidement parce que leurs populations ont des besoins énormes et risquent de se révolter. Dans le même temps, ils précipitent la dégradation de l’environnement. La Chine est un pays excessivement pollué. Or on a découvert des traces de pollution provenant de Chine jusqu’en Californie. Il est difficile cependant de dire aux Chinois :  » Vous devez maintenir les populations dans les villages et vous ne pouvez pas vous industrialiser.  » Si les Occidentaux pensent qu’en achetant chinois ils achètent bon marché, ils doivent aussi inclure la pollution dans le coût de ces produits. Or, ce prix-là, on ne le calcule pas. C’est pour cela que l’on a besoin d’un dialogue franc.

Cela signifie-t-il que l’on ne pourra plus vivre avec le même niveau de vie dans nos pays ?

Le niveau de vie ne sera peut-être pas abaissé. Mais le gaspillage, inconscient, que l’on observe dans les pays occidentaux devra être réduit. Beaucoup d’études affirment que si on économisait l’énergie, la demande serait réduite d’un tiers. Combien de bureaux sont allumés toute la nuit, sans raison ? Combien de fuites d’eau ne sont pas colmatées ? Ce que l’on observe notamment aux Etats-Unis est affolant. Ces cent dernières années, les Américains et les Européens ont profité des ressources mondiales pour faire progresser sans cesse leur économie et leur technologie. Ils se sont habitués à cette hausse continuelle du niveau de vie. Tout à coup, ils subissent un choc. Ils vivaient au-dessus de leurs moyens et les gouvernements se sont endettés pour maintenir ce niveau de vie, qui n’était pas soutenu par l’économie. La future génération devra payer pour ce qu’ils ont dépensé.

Vous évoquez l’intérêt d’une gouvernance mondiale. Mais on n’en prend pas vraiment la direction ?

Je trouve déprimant que le sentiment de solidarité diminue et qu’en temps de crise on essaie surtout de se sauver soi-même. Si on pense qu’en élevant des barrières et en restant chez soi, on va être tranquilles, c’est une illusion. Les Occidentaux ont aussi tendance à penser que les Chinois et les Indiens sont riches et que, dès lors, il ne faudrait pas leur faire de concessions. Ils oublient qu’en Inde 400 millions d’habitants n’ont ni électricité ni eau courante. Ils ne voient que les sociétés, Tata ou autres, qui font d’énormes bénéfices. Mais ce n’est qu’une toute petite partie de la population.

Depuis le scandale des subprimes aux Etats-Unis, le monde est frappé par une crise économique grave. Etes-vous favorable à une régularisation de la mondialisation ?

Oui. Certains aspects de la mondialisation, surtout financière, sont dictés par la recherche de bénéfices par un tout petit nombre de gens qui ne sont soumis à aucun contrôle. Or leurs activités mettent en danger un très grand nombre de personnes. Il faut trouver un moyen de contrôler les marchés financiers. Et dans le même temps, il est dangereux de décourager les investissements. Il faut donc trouver le contrôle juste.

Ya-t-il de nouveaux marchés à découvrir, à investir ? N’est-ce pas la chance de l’Afrique ? Et n’est-ce pas ce qu’a compris la Chine ?

Absolument. Les Chinois prennent le contrôle de ressources, minières, énergétiques et, en même temps, ils construisent des infrastructures. Les Africains leur en sont très reconnaissants. Mais il y a un autre marché, celui des populations pauvres d’Asie. Beaucoup de sociétés indiennes commencent à fabriquer des produits simples. Il faut de l’imagination et penser à de nouveaux produits pour les pauvres.

Vous distinguez le développement de la Chine, qui n’est pas une démocratie, et celui de l’Inde, qui en est une. Avec quel régime la croissance économique est-elle le plus compatible ?

Certains disent qu’il faut une certaine forme de dictature pour mener à bien une politique de développement. Mais d’autres affirment qu’en Inde les problèmes se résolvent parce que, quand une solution est trouvée après avoir été débattue, elle est acceptée ; ce qui favorise la stabilité. Tandis qu’en Chine l’imposition rapide du cours des choses par le parti communiste ne tient pas compte des mécontentements qui peuvent mener à des explosions sociales. Sur le long terme, l’Inde a peut-être plus de chances de réussir.

ENTRETIEN : GéRALD PAPY

la chasse aux gaspis pourrait réduire d’un tiers la demande en énergie

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire