Identification d’une femme

Louis Danvers Journaliste cinéma

J’ai toujours voulu être une sainte révèle sur un mode émouvant le talent de la réalisatrice Geneviève Mersch et celui de Marie Kremer, une actrice épatante dont on reparlera !

(1) Scénariste prolifique (notamment des films de Frédéric Fonteyne), écrivain de pièces et de romans, réalisateur aussi d’ Un honnête commerçant, avec Philippe Noiret.

L’idée de mon film est venue d’un gros énervement, se souvient Geneviève Mersch. C’était en 1996, et j’étais très agacée par toutes ces émissions de retrouvailles où, par exemple, des mères retrouvaient leurs filles abandonnées tout bébé, se jetaient dans leurs bras en pleurant, comme si une mère aimait forcément sa fille ! Je sais que ce n’est pas toujours le cas, que la réalité est loin de ces images invariablement positives. Alors, j’ai eu envie de raconter l’histoire d’une fille qui recherche sa maman… sauf que ça ne se passe pas comme à la télé !  »

Il aura donc fallu sept ans à la jeune réalisatrice luxembourgeoise pour mener à bien son premier long-métrage, un événement attendu avec impatience par ceux et celles que ses courts-métrages û Le Pont rouge (1991), John (1995) et Verrouillage central (2001) û avaient déjà séduits.  » Avec mon coscénariste Philippe Blasband (1), nous profitions de nos moments libres pour travailler au script « , explique Geneviève Mersch qui tourna des courts-métrages, des documentaires et même un film industriel  » pour rester en mouvement, apprendre et expérimenter, pour subsister aussi car, vous savez, il est difficile à un jeune cinéaste indépendant de vivre de son travail…  » Elle n’était, dit-elle,  » pas obsédée par le besoin de passer rapidement au long-métrage « , convaincue que  » c’est le sujet qui appelle un format, et pas l’inverse « .

C’est donc parce que l’histoire de Nora, l’héroïne de J’ai toujours voulu être une sainte,  » demandait à être traitée comme un long-métrage  » qu’elle a décidé de faire le saut. Le temps mis à peaufiner le scénario aura permis à ce dernier de mûrir et de subir quelques transformations notables. Comme le renoncement à l’idée initiale de faire parler Nora à… Dieu.  » Il n’était pas facile de visualiser ce concept, sourit rétrospectivement Geneviève Mersch, qui ne confesse avoir reçu une éducation catholique que pour préciser aussitôt qu’elle s’en est radicalement détachée. Une fois Dieu invité à quitter le script, elle eut û suite aux confidences d’une jeune fille rencontrée par hasard û l’idée de le remplacer par… Ayrton Senna ! Nora enfant, dont le pilote eût été l’idole, se serait mise en tête qu’elle était responsable de son tragique décès. Des négociations furent entamées avec la famille du défunt Senna mais, même abouties, elles auraient mis le film entre les mains de ladite famille, avec le pouvoir d’empêcher sa sortie en cas de désaccord irrémédiable. Mersch ne voulut pas courir ce risque, et choisit plutôt d’inventer de toutes pièces un champion imaginaire (nommé Nico Marcuse), confident des peines et espoirs de l’héroïne par-delà son accident fatal.

En quête de justesse

Cet artifice assez bien assumé est le seul à traverser un film par ailleurs très soucieux de vérité, de justesse. Et c’est tout naturellement qu’on se prend d’intérêt pour le parcours et la personnalité de Nora, âgée de 17 ans et croyant morte la mère qui l’abandonna lorsqu’elle n’avait que quelques mois. Vivant avec un père qui lui cache la vérité (la maman n’est pas décédée, mais bel et bien partie), l’adolescente nourrit un sentiment de culpabilité qui s’ajoute au vide maternel pour fragiliser une existence par ailleurs vécue sur un mode actif et entreprenant. Nora n’a de cesse de vouloir aider au bonheur des autres, fût-ce contre leur gré. A rebours des coups de main ludiques donnés au destin par une Amélie Poulain, les efforts de la jeune fille se retournent souvent contre elle, entraînant leur lot d’actes manqués et de maladresses. Mais, le jour où son passé intime viendra se rappeler à elle, Nora se sentira prête à partir à sa rencontre, vers une révélation dont beaucoup dépendra…

Pour tenir le rôle principal, Geneviève Mersch a, en toute logique artistique et humaine, choisi une toute jeune interprète… qui crève l’écran dans un personnage pourtant difficile à restituer dans ses nombreuses facettes. Marie Kremer se révèle spectaculairement en Nora, signant une performance du même acabit que celle naguère offerte par Emilie Dequenne dans Rosetta ou Natacha Régnier dans La Vie rêvée des anges, pour citer deux autres jeunes Belges qui ont bien confirmé par la suite.

 » Je ne m’étais jamais trouvée devant une caméra « , sourit l’étudiante à l’Insas qui s’est présentée au casting  » par curiosité, mais sans pression « . Crédible physiquement (avec ce qu’il faut déjà de femme mais aussi encore d’enfant), Marie Kremer allait se révéler une remarquable interprète de Nora, son évidente inexpérience servant le personnage lui-même mal à l’aise dans l’espace de sa vie.  » Je ne savais pas toujours où me placer par rapport à la caméra, et Geneviève a utilisé cette incertitude pour définir le personnage « , poursuit la jeune actrice.

Plus passionnée par la direction d’acteur que par le cadre, plus par la vérité humaine que par les enjeux esthétiques, Geneviève Mersch s’est en effet attachée à exprimer les sentiments, les doutes, les élans de Nora, non seulement par les dialogues mais aussi et peut-être surtout par la manière qu’a son corps de s’inscrire dans l’espace.  » Je suis toujours en quête de justesse, et Marie m’en apportait énormé- ment « , commente la réalisatrice, son interprète ajoutant que  » le fait d’être moi-même en plein apprentissage, en pleine transformation, servait en fait le personnage dont c’est aussi le cas « .

Avec son approche  » intuitive et frontale « , plaçant souvent Nora face à la caméra, confrontée à la nécessité d’aller au bout des choses, de ne pas chercher d’esquive, Mersch réussit à susciter l’identification, l’émotion auxquelles son cinéma ne peut manquer d’aspirer. Quelques maladresses ne viennent pas troubler la sensation qu’a le spectateur de voir se dessiner un beau et touchant portrait en mouvement, inconfortable comme toute approche sincère de l’humain, mais largement ouvert au regard et magnifié par la présence intense d’une interprète promise aux plus beaux lendemains.

Louis Danvers

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