Humour : La nouvelle vanne

Frondeurs, insolents, rebelles. Les comiques français d’aujourd’hui redistribuent les cartes du rire. Etat des lieux et photo de groupe.

Tous les cinq ans, le monde de l’humour connaît un nouveau cycle, selon le producteur de spectacles Gilbert Rozon (Juste pour rire). On a donc vu dernièrement l’explosion du comique urbain de Jamel Debbouze, l’impertinence de Florence Foresti et le sacre du stand-up porté par la troupe du Jamel Comedy Club. Ces temps-ci, l’humour ouvre d’autres vannes, alimenté par des artistes de tous les âges – entre 24 et 45 ans – et de tous les horizons. Certains ont même déjà vécu une première vie dans la finance ou le commerce, ou en tant qu’avocat, journaliste, chanteur…

Rien, sinon leur qualité, ne lie a priori Régis Mailhot, Elisabeth Buffet, Gaspard Proust, Claudia Tagbo ou Eric Antoine. Et pourtant, eux et d’autres renouvellent le genre. Mailhot, c’est le retour du politique ou la réponse des  » bouffons du roi  » à une situation de crise. La percée de Buffet s’inscrit dans l’irruption de filles au parler très très cru. Proust renoue avec l’esprit cynique de Desproges. Claudia Tagbo affirme la tendance d’un comique ethnique individualisé –  » ronde et black « . Enfin, le music-hall se fait une place dans le rire avec, notamment, le drôle de magicien Eric Antoine.  » Les humoristes précédents avaient rompu avec les figures dominantes, blanches et conventionnelles, et donné une visibilité à des minorités « , analyse Nelly Quemener, enseignante en Cultural Studies à l’université Paris III. On assiste aujourd’hui, ajoute-t-elle, à l’émergence d' » un humour de plus en plus fragmenté « .

Au début des années 2000, le stand-up importé des Etats-Unis a fait se plier de rire la France. Jamel Debbouze, Gad Elmaleh, Tomer Sisley and Co racontent alors avec une économie de moyens (une scène, un micro) toute une vie en continu sur le rythme d’une phrase/une vanne. Le comique  » ethnique « , sur les thèmes de l’émigration et de l’intégration, s’impose dans l’après-11 septembre puis s’amplifie entre les émeutes de 2005 et la campagne présidentielle française de 2007. C’est un humour qui interpelle la société avec sa tchatche inventive, ses corps voltigeurs, sa façon de tourner en dérision les stéréotypes sur le racisme quotidien dont sont victimes les minorités. Parallèlement, des jeunes femmes à l’ombre des  » icônes Robin et Foresti  » font voler en éclats modèles et tabous. La télévision et la radio s’emparent du phénomène.

Au fil de la décennie, la bulle de l’humour gonfle. Les stars du rire s’envolent au box-office. Franck Dubosc boucle une tournée des Zénith. Bigard se produit au Stade de France. De partout, des comiques en herbe tentent leur chance sur les scènes ouvertes, les ateliers et les  » comédies-crochets « , un manuel du savoir-rire à la main. Certains, comme Max Boublil, explosent grâce à un sketch posté sur Internet. Parfois, ils ne font qu’un tour et puis s’en vont.  » On a vu l’arrivée des boute-en-train, des amuseurs et des ambianceurs « , remarque Gérard Sibelle, responsable du développement et de la recherche à Juste pour rire.

Loin de l’humour novateur, des débutants qui ne faisaient rire que leurs copains improvisent un stand-up avec deux vannes molles et trois jeux de mots usés. Revers de la médaille : un comique bâclé et consternant envahit les scènes et jusqu’aux  » talk-shows « . Des humoristes fabriqués, fac-similés de vedettes en place, surgissent. Des rebelles formatés tirent à boulets rouges sur tout et n’importe qui : les handicapés, les homos, les vieuxà On vend du prêt-à-rire. Et, parfois, ça rapporte.

A son tour, l’humour est frappé par le syndrome Nouvelle Star ou MySpace. Il a même son benjamin : Kev’Adams, 17 ans à l’époque de sa première scène, entraîne avec lui un public adolescent qui décode les vannes au quart de tour.  » De plus en plus de très jeunes gens se lancent avec une assurance époustouflante, mais attention au feu de paille !  » prévient Christelle Graillot, responsable de la cellule Repérages de nouveaux talents, à Canal +, un vivier pour la chaîne.  » La télévision est un vrai tremplin, poursuit-elle. On l’a vérifié avec le succès de Julie Ferrier ou de Guillaume Gallienne.  » Créée il y a cinq mois, la page Facebook Repérages Canal + annonce déjà 6 000  » amis « .

Les marchands d’humour

Le développement d’un talent a un coût : entre 150 000 et 180 000 euros par an.  » C’est une mise de départ qui se fait à perte, précise Gérard Sibelle. Le producteur recherche une notoriété pour son poulain, espérant rentrer plus tard dans ses fonds. Il existe des marchands d’humour comme il y a des marchands de rêve.  » Les salles se louent au prix fort à des artistes qui, souvent, s’autoproduisent et reversent un minimum garanti de 120 à 140 euros hors taxes par représentation. Voire 220 euros pour les lieux prestigieux.

Kader Aoun, auteur, producteur et metteur en scène, qui a été une boussole pour Jamel Debbouze, Tomer Sisley ou Fabrice Eboué, est le cofondateur des Productions de l’abreuvoir. Son protégé, Mathieu Madénian, a débuté l’an dernier au Paname, l’un des carrefours du stand-up.  » Au début, Mathieu ne jouait qu’une fois par semaine, gratuitement, et l’on avait du mal à remplir. Il est passé à trois représentations avec une recette au chapeau – chacun donne ce qu’il veut. Puis à des places à 5 euros.  » Depuis début avril, Madénian est à l’affiche du Point Virgule, le café-théâtre culte. La recette est de 1 600 euros par soir. 10 000 euros sont consacrés chaque mois à la pub sur Internet.  » Je parie sur Mathieu car il est dans la clownerie, comme les plus grands. Il est capable de faire rire d’un geste. « 

La société des humoristes a réagi au raz de marée du comique fast-food, des insolents markettés, de l’humour féminin de  » salle de bains « . Les Coluche, les Jamel, les Foresti de demain sont en marche. Et c’est pas pour rire. Quoiqueà

gilles médioni – Photos : Pierre-Emmanuel Rastoin, assisté d’Audray Saulem et de Marion Dupont.; G.

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