Haro sur les collabos

Attentats, rafles : le Débarquement plonge le pays dans une spirale de violence et de terreur. Pris pour cible, les collaborateurs s’accrochent aux basques de l’occupant allemand. Et rendent coup pour coup.

A l’annonce de la nouvelle, il choisit de crâner. A quoi bon nier le Débarquement ? L’occupant allemand l’admet, du bout des lèvres. C’est pour mieux minimiser la portée de l’assaut allié. Les journaux belges à la solde des Allemands le prétendent : il ne s’agit que d’une ruse destinée à leurrer les alliés, on les a laissés débarquer pour mieux les rejeter à la mer.

Peu convaincant.  » La propagande allemande est piteuse « , note Paul Struye dans son journal de guerre. Le résistant y voit  » un désarroi caractérisé « . Il se manifeste notamment à Bruxelles, dans les jours qui suivent le Débarquement. Les chevaux de frise fleurissent sur les boulevards, les gardes sont renforcées, des nids de mitrailleuse disposés à certains endroits, des batteries de défense antiaérienne installées autour des dépôts ferroviaires. Et déjà, les premières archives que l’on évacue…

Les Allemands sont à cran.  » La nervosité s’accroît « , témoignent les journalistes Paul Delandsheere et Alphonse Ooms dans leur carnet de bord. Des signes ne trompent pas : trois jours après le Jour J, le téléphone est coupé et réservé exclusivement aux autorités militaires. Le 14 juin, est décrétée l’interdiction de sortir des habitations entre 22 heures 30 et 5 heures 30, en ville comme à la campagne.

Les Belges retiennent leur souffle. Ils se mettent à raser les murs plus encore qu’à l’accoutumée. Car la police allemande monte dans les tours. Contrôles renforcés des identités dans les trams ou à la sortie des cinémas et des églises, multiplication des arrestations. L’instinct de conservation est en alerte.  » Tout le monde s’exposait à l’une ou l’autre mesure de contrainte. L’arbitraire et l’égoïsme régnaient en maître. Tout le monde était sur ses gardes « , témoigne Pierre d’Ydewalle, ex-chef de cabinet du Premier ministre Hubert Pierlot. Pour un oui ou pour un non, on peut se retrouver en prison, voire envoyé en camp de concentration.  » Une psychose d’angoisse  » s’empare de la population.

Les rexistes résolus à faire front

Les collabos n’y sont pas étrangers. Le débarquement du 6 juin n’entame pas la détermination des séides de l’occupant.  » La première réaction de nombreux rexistes n’est pas le désespoir. Comme d’autres membres de la communauté pro-allemande, ils semblent soulagés de voir terminée la longue attente et ils sont sûrs que l’armée allemande va remporter une victoire décisive sur ses ennemis anglo-américains « , écrit l’historien britannique Martin Conway.

Peu de défections dans les rangs : en cet été 1944, les rexistes sont résolus à faire front. Ils font bloc autour de leur chef, Léon Degrelle, qui est alors au sommet de sa gloire.  » Au printemps 1944, le chef de Rex est devenu le héros incontesté de l’Ordre nouveau européen, fêté à Berlin, à Bruxelles, à Paris « , poursuit Martin Conway.

Pas plus tard qu’en avril, juché sur un engin blindé, casqué et sanglé dans son uniforme de gradé de la SS,Degrelle a encore joué les vedettes lors d’une parade organisée devant la Bourse de Bruxelles pour saluer la pseudo- victoire de la Légion Wallonie à Tcherkassy, sur le front russe.

Fanfaronnades. Les collabos ne voient plus d’autre alternative que la fuite en avant, accrochés aux basques de l’occupant. Ils refusent de s’avouer  » la réalité désespérée de leur position « . Elle n’échappe pourtant plus aux dirigeants rexistes. Ceux-là prennent leurs dispositions, échafaudent des plans de sécurité, ont sélectionné des bâtiments fortifiés où leurs familles pourront trouver refuge.

Car le vent tourne. Le climat n’est pas à la guerre civile, mais l’atmosphère dégénère en règlements de comptes. L’imminence du Débarquement, puis sa réalisation, libère un cycle de violence et de terreur en Belgique.

94 attentats perpétrés sur des Belges pro-allemands en mai, 1944, 151 commis en juin, au total 184 morts sont recensés en deux mois. Pris pour cible, les collabos ne restent pas les bras ballants. Ils rendent coup pour coup. Rafles, prises d’otages, arrestations de personnalités locales se multiplient. Le 9 juin, trois jours après le Jour J, la direction de Rex donne pour consigne à ses affiliés de servir d’indics à la Gestapo, en fournissant aux Allemands les noms de 40 000 réfractaires au travail obligatoire. Entamée sur les côtes de Normandie, la libération de la Belgique n’a pas fini de s’écrire en lettres de sang.

Léon Degrelle, les années de collaboration 1940-1944, par Martin Conway, éd. Labor.

Par Pierre Havaux

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