Haro mondial sur les poulets ?

La barrière des espèces a été franchie, le virus passant de la volaille à l’homme. Mais, s’il se confirme que l’agent pathogène se propage aussi entre humains, l’épidémie pourrait devenir extrêmement meurtrière

Alors que les autorités sanitaires mondiales s’attendaient, cet hiver, à une nouvelle vague de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), la maladie virale responsable, l’an dernier, de près de 800 morts, c’est finalement à une épizootie de grippe aviaire, susceptible de dégénérer en pandémie humaine, qu’elles sont à présent confrontées… Le scénario du pire est-il pour autant lancé ? Le 1er février, pour la première fois depuis le début de l’épidémie (apparue en décembre 2003), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) envisageait l’éventualité d’une transmission interhumaine du virus. Au Vietnam, deux s£urs ont en effet succombé à la peste du poulet, apparemment sans avoir échangé de contacts avec des volailles infectées. Prudemment, les experts sanitaires envisageaient donc la  » possibilité  » que les deux femmes aient été contaminées par leur frère décédé peu avant de la grippe aviaire, tout en soulignant qu' » on ne pourra sans doute jamais infirmer ou confirmer cette hypothèse avec certitude « .

La grippe du poulet, qui s’est répandue à une vitesse alarmante parmi les élevages de dix pays d’Asie (Vietnam, Thaïlande, Chine, Pakistan, Cambodge, Laos, Indonésie, Taïwan, Corée du Sud et Japon), terrassant des millions de poulets et contraignant les autorités locales à en sacrifier plus encore, par prévention, n’a, jusqu’ici, fauché qu’un nombre d’individus relativement restreint : à côté des quelques dizaines de cas suspects, la maladie totalisait, au 4 février, 14 victimes au Vietnam et en Thaïlande, parmi lesquelles une majorité d’enfants, particulièrement exposés. Dans les villages asiatiques, ce sont eux qu’on relègue volontiers à la surveillance de la basse-cour…

Bien qu’inoffensif pour certains hôtes (les canards, les oies et d’autres volatiles sauvages), l’ennemi est particulièrement meurtrier. La virulence de la souche H5N1 chez les humains, qui s’infectent par contact salivaire ou en inhalant la poussière de fientes animales, ainsi que sa rapidité de propagation (géographique autant que corporelle) ont conduit les spécialistes à considérer cette poussée de grippe aviaire d’un £il très anxieux. Il y a belle lurette, déjà, que les scientifiques pensent que la prochaine pandémie découlera d’une forme de grippe contre laquelle l’espèce humaine n’offrira pas suffisamment de résistance immunitaire. Depuis les années 1960, leurs craintes se sont d’ailleurs focalisées sur le virus H5N1. C’est en outre ce même agent pathogène qui a frappé Hongkong en 1997, provoquant la destruction planifiée de 1,4 million de poulets et la mort de 6 personnes, sans que l’on note toutefois chez ces dernières des signes de transmission d’homme à homme. Or, ce que les experts redoutent à présent, c’est le mélange détonant qui résulterait d’une contamination  » mixée « . La combinaison, dans un organisme humain ou porcin, de virus de la grippe aviaire et de virus de la grippe humaine (les porcs sont porteurs de ces derniers) déboucherait ainsi, peut-être, sur un échange de matériel génétique avec, à la clé, la création d’un virus hybride extrêmement contagieux et destructeur. L’OMS n’hésitait pas à évaluer les ravages potentiels de ce mutant à plusieurs millions de morts humaines.

Incapacités financières

La situation économique et politique des zones frappées en Asie du Sud-Est ajoute encore à l’inquiétude des observateurs. Les pays confrontés actuellement à l’épizootie ne possèdent pas les structures sanitaires indispensables pour identifier l’apparition d’une telle maladie et y répondre rapidement. Parfois, c’est d’indépendance que manquent les vétérinaires du cru. Pour mettre ses élevages à l’abri, la Thaïlande, dont l’Union européenne est le deuxième importateur de volailles (après le Japon), a tu, durant plusieurs semaines, la gravité de l’épidémie sur son territoire. Le Vietnam et l’Indonésie aussi. La Chine, toujours peu encline à communiquer des informations sanitaires aux observatoires internationaux, a également tardé à admettre qu’une dizaine de provinces (sur 31) étaient atteintes par le virus aviaire. Enfin, l’un des principaux problèmes soulevés par la crise est l’incapacité des gouvernements à verser une compensation financière suffisante aux éleveurs, petits et grands, afin qu’ils se résignent à abattre leurs bêtes contaminées, plutôt qu’à les vendre ou à les dissimuler, par crainte de tout perdre. En réaction, la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, vient de débloquer une aide de 1,6 million de dollars en faveur des quatre pays les plus pauvres, le Cambodge, le Laos, le Pakistan et le Vietnam.

Et en Europe ? Seule une vague de décès humains pourrait laisser craindre l’avènement d’un nouveau virus saccageur. La mondialisation des échanges aurait tôt fait de le répandre aux quatre coins de la planète. Mais, aussi longtemps que la transmission interhumaine n’est pas démontrée, il existe peu de risques, pour les populations éloignées des foyers d’infection, d’entrer à proximité immédiate d’oiseaux contaminés. Un danger subsiste néanmoins pour les touristes. En Belgique, la Cellule de vigilance sanitaire conseille aux voyageurs des régions touchées par la grippe aviaire  » d’éviter, durant leur séjour, le contact avec les volailles et les porcs (morts ou vifs), y compris sur les marchés « . Elle recommande aussi la vaccination contre la grippe, afin d’éviter une éventuelle recombinaison du virus humain avec celui du poulet. Enfin, elle rappelle que la consommation de viande de volaille cuite au-delà de 70 degrés ne présente pas de danger. Néanmoins, l’Union européenne a préféré prolonger jusqu’au 15 août l’embargo décrété le 23 janvier sur les poulets thaïlandais. Par prudence, elle fermait aussi ses frontières aux oiseaux de compagnie, comme les perroquets…

Valérie Colin

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