Hans Joachim sous les bombes

Lieutenant du Werferregiment 54 (régiment d’artillerie 54), Hans Joachim Oslage, 21 ans à l’époque, se souvient de la réflexion de son capitaine le jour où, stationné dans la ville de Lüneburg (Allemagne), il apprend l’incroyable nouvelle du débarquement en Normandie :  » Cette fois, on ne va pas y arriver !  » s’est exclamé cet officier d’expérience, âgé d’une quarantaine d’années. Son régiment reçoit aussitôt l’ordre de se rendre en Normandie :  » Hélas ! nous étions loin d’être opérationnels, explique Hans Joachim. Nous venions de recevoir de nouveaux camions Renault qui avaient été réquisitionnés en France. Ils n’étaient pas tout terrain et, de plus, nous devions les réaménager pour transporter le matériel. Je me souviens, juste avant le départ, avoir fait le tour de tous les menuisiers de Lüneburg pour leur demander de me bricoler des armatures en bois pour caler nos munitions. Nous avons fini de clouer les dernières planches sur les véhicules à bord du train qui nous emmenait à Paris…  » Après trois jours et trois nuits de voyage, le régiment s’installe dans le bois de Boulogne. Hans Joachim, qui rêvait de voir la tour Eiffel et les Champs-Elysées, réussit à accompagner le médecin militaire de son unité qui doit aller s’approvisionner en médicaments et bandages dans un hôpital parisien en vue des combats sur le front de Normandie. Après une rapide visite de la capitale, tous deux vont festoyer dans un restaurant du côté de Notre-Dame.  » Nous avons pris des apéritifs, mangé de la viande et, à la fin du repas, pour la première fois de ma vie, j’ai goûté au Cointreau. J’étais heureux ! A Paris, la vie semblait normale. On y trouvait de tout, même des cigarettes et des parfums « , se souvient-il. Après cinq nuits de marche, le régiment atteint Vimont le 23 juin 1944. Près de Troarn, sur la route de Basseneville, sa compagnie fait halte près d’un manoir normand.  » Pour installer les liaisons radio et téléphoniques, je suis monté au premier étage du manoir. Il y avait une bibliothèque, des objets en porcelaine dans les vitrines et, sur un bureau de la bibliothèque, j’ai trouvé un magazine de mode qui m’a fasciné. Comme certains livres pour enfants, il était coupé en deux dans le sens de la largeur et chaque ôhaut » de page pouvait s’ajuster à chaque ôbas », permettant ainsi d’habiller les modèles à sa guise. Vers 7 heures du matin, nous avons entendu des avions. Nous plaisantions encore, en nous moquant de ces Anglais et de leur sacro-saint breakfast. Nous avons, malgré tout, rapidement quitté les lieux. Un peu plus tard, le manoir était anéanti sous les bombes. Dès lors, notre moral allait décliner de jour en jour, tant nous étions abasourdis par la puissance de feu ennemie.  » Le 18 juillet, au petit matin, Hans Joachim, qui dormait à même le sol d’une maison normande abandonnée, est réveillé en sursaut par un nouveau bombardement aérien. Les vitres volent en éclats et le commandant du régiment, qui était en train de se raser, doit fuir en chemise, le blaireau à la main, vers les tranchées creusées aux environs.  » Nous avons été pris sous un tapis de bombes. Il n’y avait pas un mètre de terre qui n’ait été retourné « , se souvient-il. Le 18 août, il roule dans une colonne de trois véhicules en direction de Falaise.  » Nous nous faisions canarder, et j’ai compris que nous étions perdus. En fait, nous foncions droit vers les Américains ! J’ai voulu consulter ma carte d’état-major, mais, soudain, tout est devenu noir. J’ai eu l’impression d’être moi-même une boule lancée en l’air et tournant sur elle-même avant de retomber. Je me suis dit : ôAh ! c’est donc comme ça quand on meurt… » Puis je me suis retrouvé sous le véhicule qui brûlait. J’ai entendu vaguement un homme crier : ôIl y a encore quelqu’un de vivant là-dessous ! » On m’a sorti de là. J’étais blessé au pied et, le lendemain, on m’a évacué sur Rouen, où j’ai été soigné dans une église. Un jour plus tard, les Alliés liquidaient la poche de Falaise. Si je n’avais pas eu la chance d’être blessé, j’aurais été pris dans ce piège infernal et sans doute ne serais-je pas là aujourd’hui à vous raconter mes souvenirs !  »

Blandine Milcent

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