Gueuze grenadine

Détective privé, Michel Van Loo occupe, à Bruxelles, une officine minable à l’étage d’un salon de coiffure tenu par Federico, bouillant Italien, grand c£ur et grande gueule. Salon où shampouine aussi Anna, la belle et impérieuse compagne de ce Marlowe à la manque. Elle aurait quelque raison de se faire du souci suite à l’apparition de Madeleine, riche créature de rêve, venue demander à Van Loo de retrouver son frère – un ancien de la RAF – disparu depuis plusieurs mois. Nous sommes en 1947, alors que, dans l’héritage complexe de la guerre, s’affrontent et se mélangent en ordre dispersé trotskistes, staliniens, libertaires, catholiques, monarchistes léopoldistes ou antiléopoldistes, républicains et indifférents, sans oublier les anciens smokkeleirs, les résistants vrais ou tardifs, ou encore les plus ou moins collabos, profiteurs ou accapareurs des biens de juifs sous l’Occupation, qui tentent de se refaire une vertu.

C’est sur cette configuration de  » chaudron en ébullition  » qu’Alain Berenboom bâtit un polar subtil et que Van Loo disserte avec une opportunité qui, pour être d’époque, n’en est pas moins évocatrice de temps plus proches de la nôtre :  » Pourtant, dans le passé, les Belges avaient déjà réussi bien des miracles et associé d’autres éléments dont personne n’aurait pensé qu’ils puissent s’allier et bonifier ensemble. La gueuze et la grenadine, par exemple.  » Du reste, il s’y connaît, le fouineur qui consomme ce doux mélange avec une constance souvent dispensatrice de gueules de bois aussi sévères que celle de ce royaume d’après-guerre, en proie aux périls dénoncés par le titre de l’ouvrage. Titre dont on ne fera pas à Berenboom l’injure de croire qu’il est sans arrière-pensées ou malignité. Au fil des pages, on se promène aussi dans ce Bruxelles d’époque à la suite d’un ketje d’une rare précocité (1947 étant aussi l’année de la naissance de l’auteur). De la place des Bienfaiteurs – n£ud stratégique des hauts faits de Van Loo – aux quartiers chics d’Uccle et aux décors ravagés du canal, en passant par le Bon Marché ou par les tombes célèbres du cimetière d’Ixelles. Sans oublier la charismatique friture de la place Jourdan. Avec, en prime, quelques échantillons du parler local ou le coup d’£il appuyé du connaisseur sur la  » mode de Paris  » et, notamment,  » les carrures étroites, les seins exagérés, les corsages sanglés et les jupes bouffantes coupées dans la soie récupérée des parachutes « .

Mais on n’est pas dans un roman rose et Van Loo comme la bande d’amis qui l’épaulent en prendront plein la figure au cours d’une enquête riche en tête-à-queue. C’est le mot qui convient à propos d’un scénario où personne, ou presque, n’est vraiment ce qu’il dit ou paraît être, ce qui, dans le contexte déjà évoqué, génère un sacré sac de n£uds, apparemment soluble dans la gueuze grenadine. Heureusement, l’humour est un onguent magistral dont Berenboom, on le sait depuis belle lurette, use avec une générosité exemplaire pour panser les plaies des personnages que sa plume perverse met en difficulté et pour mettre le lecteur en joie.

Périls en ce royaume, par Alain Berenboom. Bernard Pascuito éditeur, 329 p.

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