Ghlin, le fleuron énergétique de Google

La petite localité hennuyère abrite l’un des plus gros centres nerveux informatiques au monde. Google nous a entrouvert les portes de son centre de données sous haute surveillance. Interview exclusive avec Urs Hoelzle, le patron data centers du géant américain.

Crystal computing  » indiquent toujours les quelques panneaux routiers qui aident à peine à s’orienter dans le vaste zoning industriel de Ghlin, près de Mons. C’était le nom de code utilisé par Google pour investir incognito quelque 250 000 millions d’euros en Wallonie dans la construction de son premier centre de données en Europe. Entre-temps, les politiques wallons n’ont pas manqué de faire la publicité de ce  » coup de maître « . Mais un mystère certain entoure toujours l’impressionnant bâtiment planté en rase campagne, en bordure de canal. Le site est sans doute l’un des plus surveillés de Belgique. Arrivés aux grilles du domaine de 90 hectares, nous rencontrons au moins quatre vigiles et sommes escortés jusqu’à la partie  » bureaux  » du centre (interdiction formelle de jeter un £il sur la salle des serveurs), où nous attend Urs Hoelzle, le Monsieur  » data centers  » de Google. L’Américain est également l’un des 10 premiers employés de la firme qui pèse plus de 150 milliards de dollars. L’ambiance se veut cool dans une salle de réunion dédiée à… l’Orval, alors que la première chose que l’on voit en entrant dans l’entreprise, ce sont des billards, flippers, sofas multicolores et références murales au Doudou. Mais cool ne veut pas dire transparent…

Le Vif/L’Express : Vos 250 millions d’investissements ont-ils tous été dépensés ?

Urs Hoelzle : Absolument. Le site est pleinement opérationnel. Nous avons tenu notre engagement initial d’engager entre 100 et 120 personnes [NDLR : dont pas mal de sous-traitants, le nombre de salariés est tenu secret]. Et nous engageons toujours. Nous sommes occupés à terminer l’extension du site sans que cela interfère dans nos opérations.

D’où vient le personnel ?

Environ 75 % sont locaux. Nous opérons pas mal de rotations avec d’autres centres de données, en particulier avec celui en construction en Finlande, qui sera le deuxième centre de données dont nous serons propriétaires en Europe. Mais Ghlin restera le plus gros.

Combien de serveurs avez-vous ici ?

Je peux vous le dire mais je ne veux pas [rires].

100 000 serveurs vous paraît une bonne estimation ?

Ce n’est pas un chiffre fantasque, non. Mais leur nombre peut varier selon les générations de serveurs et leurs besoins électriques. Il est parfois possible, sur un même espace, de placer plus ou moins de ces serveurs. Tout dépend aussi s’ils possèdent des lecteurs disques, etc.

De quelle puissance électrique avez-vous besoin ?

Plusieurs MW… Electrabel a installé pour nous une station électrique dédiée. Tout ce que je peux vous dire, c’est que notre centre de données belge est parmi les plus efficaces du groupe, voire même le plus efficace ces douze derniers mois. Il a encore eu le meilleur indice PUE [NDLR :  » power usage effectiveness  » ; le rapport entre l’électricité directement consommée par les ordinateurs et celle  » de support  » nécessaire pour faire tourner l’infrastructure, le refroidissement, etc. ] le dernier trimestre. Ghlin a atteint un PUE de 1,09 [NDLR : la plupart des centres de données en Belgique ont un PUE avoisinant 2].

Comment expliquez-vous ces bonnes performances ?

Le climat tempéré et le degré d’humidité modéré, idéal pour que nos tours de refroidissement par évaporation fonctionnent de façon optimale. Nous n’utilisons pas de groupes de refroidissement d’eau, tout le système de refroidissement est passif. Par ailleurs, Ghlin est le 6e data center que nous avons construit. Nous avons appris à nous améliorer.

Quel rôle joue le canal voisin ?

Le canal nous permet de ne pas utiliser de l’eau potable pour nos circuits de refroidissement. L’eau entrante est simplement traitée contre les bactéries et rejetée en bout de course dans un autre canal de la ville, utilisée pour les eaux usées. En fait, l’eau qui ressort est plus propre que celle que nous prenons au canal, car nous avons notre propre circuit de traitement de l’eau.

Dans un récent rapport sur les énormes besoins énergétiques des centres de données [lire Le Vif/L’Express du 27 mai], Greenpeace vous a classé parmi les meilleurs élèves. Quels sont vos secrets pour laver plus vert ?

Il n’y a pas de secrets, vraiment. La plupart des choses que nous faisons sont très simples et tout le monde peut le faire. Sans que cela coûte beaucoup d’argent. Par exemple, une sorte de tradition dans notre secteur veut que la température d’un centre de données ne peut pas dépasser 20 degrés. Nous nous basons sur des tests et des études contradictoires qui nous autorisent à monter à 27 degrés. Rien que cela nous permet d’économiser jusqu’à 20 % d’énergie !

Vous fabriquez vous-même vos serveurs. Qu’ont-ils de si spécial ?

Ils n’ont pas de châssis car cela freine la circulation d’air et c’est inutile vu que nos serveurs sont tous utilisés en rack. Un serveur seul ne peut pas fonctionner.

Vous achetez de l’électricité verte à Electrabel, mais pourquoi ne pas avoir installé vous-même des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques sur le site, comme vous l’avez fait aux Etats-Unis ?

Notre priorité est de minimiser l’impact sur l’environnement. Ghlin n’a pas une situation idéale pour des éoliennes par exemple, le rendement serait beaucoup moindre qu’ailleurs. Nous essayons de trouver des sources d’énergie proches qui ont des bonnes caractéristiques de rendement. Aux Etats-Unis, nous venons d’acheter deux parcs éoliens qui vont alimenter un data center situé à 20 kilomètres du site.

Google vient d’investir dans un parc solaire en Allemagne. Pourquoi, vu que vous n’y avez pas de centres de données ?

Ce parc en Allemagne, ou le parc éolien que nous venons d’acheter en Californie, sont des investissements purs et simples, réalisés par notre département financier. Nous avons déjà investi 400 millions dollars dans du renouvelable. Collatéralement, cela renforce notre image verte.

Pourriez-vous investir dans du renouvelable en Belgique ?

Oui, mais nous ne communiquons les contrats que quand ils sont signés.

Vous louez un certain nombre de centres de données, par exemple à Groningen aux Pays-Bas. Combien en Europe ?

Une dizaine. De moins en moins. Nous essayons de nous en retirer car ils sont moins efficaces énergétiquement et plus coûteux à faire fonctionner. C’est une évolution logique, même si nous sommes encore liés à certains pour pas mal d’années.

De combien de centres de données à vous avez-vous besoin en Europe ?

Strictement parlant, celui de Ghlin et celui en phase de finalisation en Finlande nous suffisent. Nous avons acheté des terrains en Autriche pour un troisième centre éventuel, en réserve.

Et en dehors de l’Europe et des Etats-Unis ?

Nous n’en avons pas pour l’instant. Ce n’est sans doute qu’une question de temps quand nos marchés se seront bien développés dans ces régions.

OLIVIER FABES

Google pourrait investir dans le renouvelable en Belgique

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