Gérard Seghers, un confluent d’influences

Cet été, le musée des Beaux-Arts de Valenciennes met à l’honneur Gérard Seghers, le grand peintre anversois qui conjugua de manière singulière influences maniéristes et caravagesques.

Relégué à l’ombre de Rubens, Gérard Seghers (1591-1651) compte parmi les artistes majeurs du XVIIe siècle. Formé à Anvers, il passe plusieurs années – probablement entre 1611 et 1620 – à Rome et en Espagne. Sans surprise, ses premières £uvres connues ( La Trinité terrestre et La Vierge à l’Enfant de la cathédrale de Tournai) s’imprègnent de l’esthétique du Caravage (1571-1610) avec néanmoins un touche personnelle teintée de maniérisme. Et pour cause : l’artiste mêle la force du clair-obscur caravagesque aux canons plastiques et au chromatisme subtil des modèles du cinquecento (Michel-Ange, Raphaël, Corrège ou Barocci).

Les recherches menées ces dix dernières années par Anne Delvingt, auteure d’une thèse sur Seghers et commissaire de l’exposition, ont permis de découvrir des £uvres inédites. A coté des grandes scènes de genre ( Buveurs et fumeurs, Cinq sens…) et de quelques portraits, l’Anversois peignit essentiellement des sujets religieux. Des compositions qui ornèrent, jusqu’à la Révolution, quantité d’autels dans les églises d’Anvers et des anciens Pays-Bas méridionaux.

Chefs-d’£uvre en péril

Pièce emblématique, La Vierge à l’Enfant apparaissant à saint Eloi et à saint Joseph sert de pierre angulaire – et de prétexte – à l’exposition. Remisé depuis les années 1930, ce grand tableau est à nouveau présenté au public. Conservé dans l’église Saint-Géry depuis son achat par la Fabrique en 1838-1839, il était parvenu au musée des Beaux-Arts de Valenciennes suite à l’incendie qui ravagea le ch£ur de l’édifice en 1859. Gravement endommagée, la toile s’encroûta un long moment roulée dans les réserves. Bien des années s’écoulèrent avant que les premières restaurations ne soient réalisées. Réparations grossières qui se résumèrent surtout à appliquer d’épais mastics et des repeints débordants sur l’ensemble des lacunes. En 2004, la toile est redécouverte dans un état problématique. Elle présente des signes aggravés de dégradation : la surface peinte se détachant à la moindre manipulation, des pans entiers de la couche picturale étaient sur le point de tomber. Il fallait la restaurer d’urgence ! Pendant près de quatre ans, Emmanuel Joyerot et Nathalie Houdelinckx entreprennent des travaux pour sauver le tableau. Ils refixent la peinture, ôtent les repeints et les vernis oxydés, démontent l’ancien rentoilage, doublent la toile initiale, comblent les lacunes au moyen de mastics structurés au scalpel… Un lifting intégral qui permet aujourd’hui à l’£uvre de Seghers de révéler la beauté de ses coloris, la finesse de ses détails et la richesse de ses expressions originelles.

Autre temps fort de l’exposition : L’Assomption de la Vierge. Peinte en 1629 pour l’église Notre-Dame de Calais, cette £uvre est l’une des rares peintures signées et datées de l’artiste. Elle ornait autrefois un imposant maître-autel de marbre mesurant 17 mètres de haut sur 10 de large, soit toute la hauteur et toute la largeur du ch£ur. Aujourd’hui accrochée dans le transept de l’église, cette Assomption qui fait près de 5 mètres de haut fit l’objet de restaurations en 2004-2005. Le dessin de l’autel tout comme la composition de la toile divisée en deux registres – l’un terrestre, l’autre céleste – témoignent de l’adhésion de Seghers à l’art de la Contre-Réforme. Côté céleste, la Vierge s’élève sur un tapis de nuages, les bras ouverts et les yeux levés vers le ciel. Une nuée de chérubins et d’angelots l’accompagnent. Côté terrestre, saint Pierre indique le tombeau devenu vide. Le rendu très plastique, les couleurs franches et les coloris de l’Assomption de Calais renvoient inévitablement à la version peinte par Rubens pour l’église des Carmes déchaussés de Bruxelles (1616).

Une semblable magnificence est révélée par la Descente de Croix réalisée par Seghers pour la cathédrale de Liège. Pas moins de 13 personnages peuplent cette composition étonnante qui témoigne d’une grande élégance formelle, d’une subtilité chromatique et d’une étude attentive à la lumière et aux ombres. Tout comme L’Apparition de la Vierge à saint Eloi et à saint Joseph du musée de Valenciennes et L’Assomption de la Vierge de Notre-Dame de Calais, la toile liégeoise a récemment connu une restauration qui permit d’insister sur les talents de coloriste de Seghers, maître des roses et des oranges qui trouvent ici une brillance et une profondeur insoupçonnées.

Outre de grands formats peints, l’exposition présente aussi des dessins. Rarissimes chez notre artiste. De petits modèles – tantôt autographes, tantôt réalisés avec la participation de l’atelier – exécutés à la demande d’une clientèle friande de compositions originales du maître. Captivante, l’exposition décline également les étapes d’une composition à succès de Seghers : un Saint Philippe qui provient d’un ensemble de 14 toiles conservées dans la chapelle du couvent des S£urs augustines de Saint-Ghislain. Cette série offre des modèles originaux et d’une grande diversité. La présentation générale des apôtres, coupés aux trois quarts sur un fond sombre et enveloppés dans de larges drapés sculpturaux, emprunte de nouveau à l’art du Caravage, mais rappelle également Les Douze Apôtres de Murillo (Galleria Nazionale de Parme). Ici encore, cinq toiles issues de la série des Apôtres du couvent de Saint-Ghislain ont profité de restaurations qui ont permis de rétablir un jugement objectif sur la qualité picturale et chromatique de ces toiles qui, abîmées, noircies, peu lisibles, étaient inconnues ou oubliées du public.

Une exposition intéressante – à mi-chemin entre la rétrospective et le dossier explicatif – se concentrant sur la production religieuse de Gérard Seghers des années 1620, et qui, non contente de sauver l’honneur d’un de nos grands artistes, permet de comprendre en profondeur les processus et enjeux liés à la restauration des £uvres d’art. Seul bémol, on notera, malgré le sous-titre de l’événement, que les grands retables reflètent plus l’influence de Rubens que celle du Caravage ou du maniérisme, et on retiendra définitivement de Seghers qu’il est bel et bien un peintre baroque et anversois, marqué davantage par le souffle de Rubens.

Gérard Seghers. Un peintre flamand entre maniérisme et caravagisme, musée des Beaux-Arts de Valenciennes, boulevard Watteau, Valenciennes. Jusqu’au 21 août. www.valenciennes.fr

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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