Gènes mutants sur ordonnance

Le documentaire récemment diffusé par Arte a réactivé le débat sur les OGM. Loin des champs, des chercheurs travaillent sur des médicaments à partir de plantes transgéniques. Ces possibles vaccins du futur sont-ils dangereux ?

Avec Le monde selon Monsanto, Arte a réalisé l’une des meilleures audiences de la chaîne. Le livre que son auteur, Marie-Monique Robin, a tiré de son enquête fait l’objet d’une réimpression. Sur Internet, les sites anti-Monsanto fleurissent. Mais l’agriculture n’est pas le seul secteur concerné par les OGM. Des plantes transgéniques pourraient être bientôt utilisées pour créer des vaccins. Ainsi, la carotte transgénique pourrait bien changer la vie des patients atteints de la maladie de Gaucher, une affection congénitale rarissime dont le traitement détient la triste particularité d’être l’un des plus coûteux au monde. Une société israélienne, Protalix, a procédé en 2007 aux premiers essais cliniques d’une enzyme produite à partir des cellules modifiées de cette racine.

Faire pousser des  » plantes médicaments  » génétiquement transformées pour prévenir ou guérir des maladies : l’idée, belle et généreuse, semble miraculeuse. En 1995, pour la première fois, un chercheur américain, Charles Arntzen, imagine de substituer à la traditionnelle vaccination par injection la consommation d’un végétal synthétisant les mêmes antigènes : ainsi germe le principe de la  » banane vaccin « , panacée permettant à chaque village d’Afrique ou d’Asie de planter une pharmacie dans son potager.

 » Le concept de départ était que la plante consommée telle quelle servirait de médicament, rappelle le biologiste Loïc Faye, spécialiste de la transgenèse végétale. Mais on s’est vite aperçu que cela posait des problèmes de dosage dans l’organisme et de dissémination dans l’environnement. « 

Comment contrôler, en effet, la quantité de principe actif ingéré ? Comment garantir que ces plants génétiquement modifiés ne seront pas affectés par d’éventuelles maladies ou aspergés de produits phytosanitaires toxiques ? Et comment s’assurer que les bananes magiques n’iront pas éparpiller leurs gènes mutants dans les bananeraies voisines ? Le fruit vaccin ne verra jamais le jour. Autre échec : le riz Golden Rice, bourré de bêta-carotène issu de la jonquille et censé supplémenter en vitamine A les populations carencées des pays du tiers-monde. Pour couvrir leurs besoins quotidiens, les enfants auraient dû en consommer près de 10 kilos par jour…

A la suite de ces déconvenues, les chercheurs changent donc leur fusil d’épaule : s’ils ne renoncent pas à produire des molécules actives au sein de plantes génétiquement modifiées (PGM), ils abandonnent – temporairement ? – l’idée de les manger directement. Mieux vaut les utiliser sous forme de gélule ou de cachet. De nombreux laboratoires planchent sur le sujet, en santé humaine comme en médecine vétérinaire. Des fondations caritatives, comme celle de Bill et Melinda Gates, appuient ces programmes de recherche, destinés à fournir des vaccins bon marché – moins de 0,80 dollar la dose – faciles à conditionner, à stocker et à transporter, sans avoir à se préoccuper de respecter la chaîne du froid.

En 2006, premier vaccin sur le marché américain

Plus de 30 vaccins – contre la rage, la fièvre aphteuse, la myxomatose, etc. – destinés aux animaux sont d’ores et déjà à l’étude. Les poulets d’élevage pourraient être les premiers bénéficiaires de ces médicaments du xxie siècle : en 2006, une autorisation de mise sur le marché d’un médicament recombinant issu d’une plante transgénique a été délivrée aux Etats-Unis à un vaccin contre une affection aviaire, la maladie de Newcastle. Du jamais-vu. Le traitement est produit dans des cellules de… tabac, la toute première PGM, créée dès 1982 pour résister à l’épandage massif d’antibiotique. L’herbe à Nicot est en effet l’un des végétaux les mieux adaptés à la recherche génétique : sa croissance rapide et son importante biomasse en font un sujet de choix pour les scientifiques.

Après quelques années de cultures en pleine terre, les biologistes ont remisé bêches et râteaux pour réintégrer leurs laboratoires.  » On ne travaille quasiment plus à partir de plantes de plein champ, souligne Loïc Faye. On procède désormais à partir des cellules cultivées en fermenteurs ou de végétaux produits en serres confinées. Il n’y a plus aucun risque de dissémination dans la nature, et l’on s’affranchit des aléas climatiques comme d’éventuelles contaminations par des pesticides.  » Après tout, la technique a fait ses preuves : depuis plus de vingt ans, les biotechnologies sont utilisées en laboratoire pour produire des molécules thérapeutiques issues d’organismes génétiquement modifiés – ovaires de hamster, cellules d’insectes, bactéries ou levures. Mais qui sait qu’on fabrique de l’insuline humaine à partir d’une bactérie répondant au doux nom d’Escherichia coli, un coliforme fécal ?… l

Marion Festraëts

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