Génération Morael

Un peu trop lisse ? Trop gentil ? Sans expérience ? Jean-Michel Javaux n’en fait aucun complexe. Le secrétaire fédéral d’Ecolo croit aux vertus du temps et à la force des convictions pour asseoir son autorité. Et, sous l’apparence, se cache peut-être un homme bien plus madré qu’il n’y paraît

Le gendre idéal : beau gosse, yeux limpides, prolixe, un rien gauche encore dans son souci de plaire, mais sincèrement curieux des gens. Lorsqu’il est devenu membre du secrétariat fédéral d’Ecolo – un triumvirat -, en juillet dernier, et officialisé  » porte-parole  » du parti, nombreux sont ceux qui s’interrogeaient sur la crédibilité de ce grand garçon nature de 36 ans, que l’on dirait échappé de La Guerre des boutons. Cette fois, c’est l’épreuve du feu : chez les Verts, la campagne pour les élections régionales de juin prochain démarre officiellement ce samedi, avec la tenue d’un congrès sur le thème de  » L’écologie, une chance pour l’économie ! « . Jean-Michel Javaux, désormais chargé d' » incarner  » le parti, sera sur le devant de la scène.

Déplaire lui fait horreur, c’est à la fois un atout et un handicap. Un atout : chez les Verts, allez savoir pourquoi on se méfie des forts en gueule, des cyniques, des surdoués, bref, des vrais  » pros « . Les militants, qui, dans ce parti, jouissent d’un droit à la parole et à la décision inégalé ailleurs, semblent mus par la tentation irrépressible de sacquer les  » têtes « . Jacky Morael, l’ancien secrétaire fédéral à qui Ecolo doit en grande partie sa victoire aux élections législatives de 1999, en a fait la douloureuse expérience. Il a payé la participation de son parti au gouvernement arc-en-ciel de son effacement personnel, alors que son talent le prédestinait à devenir le vice-Premier ministre Ecolo. Jean-Michel Javaux ne fait pas mystère de sa  » filiation spirituelle  » avec Morael (c’est ce dernier qui l’a repéré sur son terrain, à Amay), mais il s’en distingue par son côté enfant, un brin de naïveté – feinte plus que réelle, paraît-il – et un tempérament naturellement porté à la collégialité et à l’écoute, une absence d’arrogance. Bref, ses apparentes hésitations rassurent le peuple vert, allergique à l’autorité exercée avec l’assurance de  » ceux qui savent « . Bien sûr, ce besoin de plaire pourrait constituer, aussi, un fameux handicap : dans ce parti où la démocratie interne est poussée à l’extrême, les risques de conflit sont plus aigus que nulle part ailleurs. Or, si les Verts veulent éviter de s’enliser plus encore dans ces débats stériles dont ils ont le secret, il leur faut de toute urgence une personnalité capable d’en imposer, de trancher, de couper dans le vif, bref, de déplaire lorsqu’il le faut. Et là, on attend de voir. Pour l’instant, les troupes sont k.o., digèrent la débâcle de mai 2003, évitent d’en rajouter, se tiennent coites. Mais les vieux démons ne manqueront pas de resurgir, tôt ou tard. Et, même si Javaux jure de s’inscrire dans  » l’après-2004 « , comme pour, déjà, conjurer le sort funeste qui pourrait bien être celui de son parti au scrutin du printemps, il prend pourtant des risques personnels : le secrétaire fédéral figurera, en effet, en tête de liste des candidats écologistes aux élections régionales pour l’arrondissement de Huy-Waremme. Certains y voient l’illustration du fait que Javaux ne rechigne jamais à prendre ses responsabilités, à se mettre sportivement sous la pression. D’autres murmurent que sa candidature, alors même qu’il n’entend pas exercer le mandat de député wallon et passera donc le flambeau au premier suppléant, le cas échéant, augure d’un changement de culture, d’une conversion au pragmatisme et au réalisme politique. Les uns s’en félicitent –  » Ecolo n’a jamais rien gagné à vouloir être plus propre que les autres  » -, les autres craignent que le parti y perde son âme…

Lui n’en a cure, insistant sur la collégialité de la décision : c’est sa régionale qui l’a convaincu de la nécessité de l’opération. L’homme, il est vrai, a le sens du collectif. Sa passion du foot n’y est sans doute pas étrangère. Il a fait ses armes au patro, aussi, comme gamin et puis comme animateur. C’est là que lui est venue la  » fibre  » politique : en 1989, râlant contre la frilosité de la politique de la jeunesse des autorités communales d’Amay – à forte dominante socialiste -, Javaux reçoit la visite de Jacky Morael. A partir de là, les choses s’accélèrent : engagement chez Ecolo, élection en tant que conseiller communal à Amay, face à Robert Collignon, le maître incontesté des lieux, présidence du Conseil de la jeunesse, organisation des Etats généraux de l’écologie, élection en tant que député wallon, etc. Mais, Javaux le jure la main sur le c£ur, la politique ne sera pas toute sa vie. D’abord, parce qu’il l’aime trop, cette courte vie : ses amis, le foot, le whist, la télé, les BD, les voyages, la chimay brune, le bon vin – son papa, négociant en spiritueux, lui a légué quelques très bonnes bouteilles -, son épouse, qu’il appelle joliment son  » amoureuse « , sa petite Lola et un autre loupiot attendu pour l’été. Ensuite, parce qu’il connaît la mort et les interrogations qu’elle suscite sur le sens de la vie : un petit Théo, décédé sans crier gare à la crèche, à l’âge de 18 mois, lui enjoint, depuis les nuages, de toujours observer un recul sur les choses, de prendre un minimum de distances, de relativiser. Sans doute son indécrottable optimisme l’a-t-il aidé dans ses traversées. Ainsi qu’un caractère bien trempé, qu’il dissimule diplomatiquement sous sa douceur. La mort de sa maman, après une longue descente aux enfers – il venait à peine de terminer l’unif -, lui a appris l’indispensable exigence, cette rigueur qui tient les hommes debout. Celle de son père, cinq ans plus tard, lui a fait prendre conscience de la force de la parole et de l’écoute :  » Je n’ai jamais autant parlé à mon père que durant les six mois de son agonie. On peut passer sa vie à passer à côté de l’essentiel.  »

Chef quand même ?

Bien sûr, tout cela ne transforme pas un homme en  » bête  » politique.  » Jean-Mi  » ne sera jamais un tueur. Il lui manquera toujours aussi, espère-t-il, cette dose de cynisme qui aide à supporter les coups – droits ou bas – qui pleuvent dans l’arène politique. Mais ses proches ne s’y trompent pas :  » Contrairement aux apparences, il peut être machiavélique. Les négociations internes, chez Ecolo, il sait les mener où il veut.  » Lui se sent mû par une autre force, celle de l’enthousiasme et du désir d’apprendre. Son manque d’expérience, qu’il admet volontiers, ne lui donne aucun complexe :  » On n’est pas respectable, on le devient. La respectabilité se construit dans le temps, et si l’on a des choses à dire.  » Pour progresser, il se fixe trois objectifs : acquérir une force de travail plus constante –  » Quand je bosse intensément deux jours d’affilée, je dois récupérer  » -, se réconcilier avec les vertus de l’agenda et de la ponctualité, et faire en sorte que son besoin viscéral de consulter ne puisse plus être confondu avec de l’atermoiement. Une graine de chef ?

Isabelle Philippon

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