Geek attitude

Julien Bordier Journaliste

C’est la nouvelle tribu high-tech, celle des accros à l’ordinateur et aux joujoux numériques dernier cri. Une passion exclusive et un mode de vie qui ne les éloignent jamais de leur clavier. Apprenez à les reconnaître

Les geeks (prononcez  » guiks « ), ces envahisseurs venus de la galaxie Techno, sont parmi nous. Ils n’ont pas de raideur anormale à l’auriculaire, comme dans la série télé, mais parlent un drôle de jargon :  » Le N70 est vraiment trop petit, je préfère le 6680  » ;  » Et toi, t’as quoi comme distrib’ ? Debian ou Ubuntu ? » Ils ont leurs mots codés, leurs rituels, leurs journaux, leurs snobismes, leurs références cultes : les geeks sont ces pionniers du high-tech et de l’informatique, ces accros aux machines électroniques qui ont tout compris avant tout le monde et s’initient déjà aux outils que vous autres, pauvres communicants débutants, achèterez dans trois ans. En anglais, geek signifie  » zarbi, allumé « . Au départ, dans les années 1980, le sobriquet désignait les informaticiens plutôt marginalisés. En 2001, le magazine Wired baptisait même geek syndrome la montée de l’autisme dans la Silicon Valley. Aujourd’hui, le mot définit les dingues de technologies.

Les uns,  » codeurs « , ne peuvent s’empêcher, face à leur ordinateur, de concevoir compulsivement des programmes informatiques. Les autres, early adopters, font le siège des fabricants pour décrocher en avant-première les derniers modèles d’appareils ou de gadgets numériques : cet automne, par exemple, il  » faut  » avoir une powerball – sorte de balle de tennis dotée d’un gyroscope – et le Motorola A1000, un téléphone qui fait à la fois lecteur vidéo, baladeur MP3, GPS, boîte mail et appareil photo. Posséder le Graal technologique du moment – le chien-robot il y a cinq ans, le lapin intelligent Nabaztag aujourd’hui – est pour certains une question d’honneur. Les plus maniaques passent commande au Japon et à Hongkong, pays servis en premier, ou font des kilomètres pour être à l’avant-garde. Xavier des Horts, directeur de la communication de Nokia France, raconte :  » L’an dernier, nos revendeurs suisses ont reçu un mobile huit jours avant l’Hexagone. Des Français ont pris le train pour acheter ce téléphone avant les autres. Certains fans de la marque parviennent même à obtenir les nouveaux produits avant moi !  »

Les fabricants surveillent de près les réactions de ces défricheurs et leur prêtent des appareils.  » Les early adopters ont de l’influence sur le destin d’un modèle, via les commentaires très détaillés qu’ils postent sur les blogs ou les forums « , souligne Thomas Le Gourrierec, rédacteur en chef du magazine spécialisé Stuff. La téléphonie 3G, par exemple, a bénéficié des remarques pertinentes de ces cobayes consentants.

 » Quatre jours sans connexion et je deviens fou « , avoue Benjamin Soontag, 28 ans, informaticien. Les geeks sont tous des drogués. Premier geste au saut du lit : allumer les ordinateurs.  » Je ne peux pas me déconnecter du monde plus de dix minutes par jour « , raconte Célia, 26 ans, son téléphone qui fait aussi PDA (assistant personnel) à la main.  » Un geek sort sans arrêt son portable, demande partout où se trouve la prise Internet « , explique Frédéric Couchet, 35 ans, délégué général d’un gros vivier de geeks, l’Association pour la promotion et la recherche en informatique libre.  » C’est génial, ce sont des fous de boulot, s’écrie David, l’associé de Benjamin. En revanche, je n’aimerais pas être la copine d’un geek.  »

Copinedegeek. com : le site existe, justement. Aux manettes, Coralie Couchet et ses amies. Avec humour, elles chroniquent les us et coutumes de la tribu des programmeurs-codeurs, dont elles dressent le portrait-robot : cheveux longs, barbe, tee-shirts aux messages abscons, jeans, baskets ou sandales allemandes. Une assemblée composée à 98 % de mâles entre 20 et 35 ans, diplômés, qui apprécient la bière – Guinness de préférence – et boulottent des pizzas,  » plus faciles à manger d’une seule main pendant qu’on tape au clavier « , explique l’un d’eux. Conséquence : le geek est légèrement enrobé et blanc comme un cachet d’aspirine. Le geek a toujours  » un truc à finir  » sur son ordi après le dîner.  » Ma passion m’a coûté ma copine « , reconnaît Christophe, 30 ans. Homo numericus est donc célibataire. Mais pas solitaire, ni asocial, contrairement à la variante extrémiste des férus d’informatique qu’on appelle nerds. Il a pour livre de chevet Le Guide du voyageur galactique. Une  » trilogie en cinq volumes  » de Douglas Adams, un auteur de science-fiction, dont l’adaptation cinématographique vient de sortir sur les écrans sous le titre H2G2. Dans ce manuel, le superordinateur Deep Thought répond – après 7,5 millions d’années de calcul – à  » la grande question sur la vie, l’univers et le reste « . Verdict :  » 42  » ! Le calculateur ajoutant :  » Reste à déterminer précisément les termes de la question.  » La sentence gaguesque et sibylline – donc culte – s’affiche désormais en gros caractères sur les tee-shirts.

Avec les geeks, rien n’est simple.  » Ils sont comme les Shadoks, toujours à la recherche de la complexité « , plaisante David.  » Regarder un DVD prend des proportions insoupçonnées, raconte Coralie. Le geek veut absolument lire le film à partir de son ordinateur pour le visionner sur la télé. Seulement, les branchements ne fonctionnent jamais. Le comble, c’est qu’au-dessus de la télé on a une boîte noire qui s’appelle un lecteur DVD et qui fonctionne très bien.  » Bidouiller, démonter, améliorer les performances de leurs programmes ou de leurs appareils, telles sont les activités des geeks.  » Ils adorent quand leur système plante et que le dialogue s’installe alors avec la machine « , observe Philippe Breton, sociologue au CNRS ( Le Culte de l’Internet, La Découverte).

 » J’achète cinq ou six ordinateurs par an  »

Le vice du numérique coûte cher.  » Quand je vois une jupe à 70 euros, je me dis d’abord que c’est le prix d’une demi-carte mémoire, affirme Fanny Bouton, l’entremetteuse de geeks. Un technophile débourse en moyenne entre 200 et 400 euros par mois.  » Une fois les doigts posés sur les touches, c’est l’engrenage. Pierre, 40 ans, commercial dans l’agroalimentaire à Dieppe, est un techno addict.  » J’ai un ultraportable Sony VAIO et, comme PDA, un iPAQ hx2750 « , dit-il en sortant de son sac un second PC, un Toshiba Libretto U100 d’une valeur de 1 850 euros.  » Je dépense 1 500 euros par mois en high-tech, poursuit-il. Je change d’assistant personnel tous les mois et demi et j’achète cinq ou six ordinateurs par an.  » Pour suivre le rythme et s’acheter de nouveaux joujoux, le Dieppois revend très vite.  » A l’échelle temporelle du geek, deux mois, c’est déjà très long « , souligne Laurent Pavoine, créateur de Mageekstore. com, une boutique en ligne de gadgets techno.  » C’est une course sans fin, précise Pierre. C’est seulement la banquière qui t’arrête.  » Ou la batterie, à plat.

Julien Bordier

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