Francine De Tandt dans le pétrin

Une vraie enquête pénale va permettre de démêler le vrai du faux dans les accusations – très graves – de corruption qui pèsent sur la juge De Tandt, rendue vulnérable par son endettement.

Jusqu’à l’affaire Fortis, en novembre 2008, Francine De Tandt, présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, était une parfaite inconnue du grand public. A l’exception de voix dissonantes l’accusant, sous le couvert de l’anonymat, d’avoir modifié l’orientation de son jugement sous l’influence de l’avocat de l’Etat belge, Christian Van Buggenhout, presque tous, dans le milieu judiciaire et l’avocature louaient son pragmatisme et son esprit d’indépendance. Des détracteurs raillaient cependant sa propension à user du  » copier-coller  » en reprenant les argumentaires de la partie à laquelle elle donnait avantage.

Comment cette paisible professionnelle de 63 ans, juge indépendante, nommée à vie, à deux doigts de la retraite, qui aime tailler ses rosiers du Pajottenland et apprécie les vins de Bordeaux a-t-elle pu devenir, selon les médias, une femme aux abois, surendettée, accordant des faveurs à gauche et à droite contre rétribution ? Bref, l’objet d’un vrai scandale ?

Ce ne serait pas la première fois qu’un tribunal de commerce est touché par une  » affaire « . Le 17 avril 1987, la cour d’appel de Bruxelles a condamné, au terme d’une bagarre homérique menée par l’avocat Michel Graindorge, le président du tribunal de commerce de Nivelles à deux ans de prison avec sursis, et quatre avocats curateurs à plusieurs mois de prison avec sursis, pour détournement, escroquerie, malversation de gestion et faux en vue d’éluder l’impôt.

Pour Francine De Tandt, tout commence à la fin de l’année 1998. Elle est encore vice-présidente du tribunal de commerce de Bruxelles. Un expert judiciaire fortuné d’Asse (arrondissement judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde), Luc Vergaelen, siège alors régulièrement à ses côtés comme juge consulaire. Au tribunal de commerce comme au tribunal du travail l’  » échevinage  » est d’usage, à savoir une composition mixte du siège, avec un magistrat de carrière et des experts issus du monde des affaires (juges consulaires) ou du monde patronal et des organisations syndicales (juges sociaux). Le mandat de Vergaelen arrivait à expiration en 2000 mais, selon le quotidien De Morgen du 19 août, la présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, Anne Spiritus-Dassesse, l’aurait poussé à démissionner avant terme.

Une  » vulnérabilité  » bien cachée

La raison ? Une affaire privée qui l’oppose à Francine De Tandt depuis plusieurs années. Une dette de 540 000 euros (21,6 millions de francs belges). En 1998, Luc Vergaelen a prêté cette somme à Marc De Tandt, frère de Francine De Tandt. Ce dernier souhaitait acquérir une concession minière très rentable en Côte d’Ivoire, un mirage qui s’est évanoui avec l’argent et l’intermédiaire ivoirien… Francine et sa mère ont garanti l’emprunt, s’exposant ainsi à devenir codébitrices en cas de problèmes.

Le 16 décembre 2002, le tribunal de première instance d’Audenarde condamne Marc De Tandt et sa femme, ainsi que Francine De Tandt, à rembourser les 526 512, 67 euros à Luc Vergaelen (décision confirmée en appel à Gand en 2005). Depuis lors, le créancier peut théoriquement mettre à la porte de leurs domiciles respectifs la juge, son frère et leur mère. A-t-il déjà été remboursé, en tout ou en partie ? Mystère. Vie privée. En tout cas, Me André De Becker, l’avocat bruxellois de Francine De Tandt (lire ci-contre), réfute l’information du Morgen selon laquelle Francine De Tandt aurait usé de son influence pour obtenir à Luc Vergaelen des missions d’expertise judiciaire auprès du tribunal de commerce de Bruxelles.

Cette dette partagée faisait de la juge une personne  » vulnérable  » qui, selon l’un de ses prédécesseurs à la tête du tribunal de commerce, Jean-Louis Duplat, n’aurait jamais dû être nommée à cette fonction sensible. Certains, au Palais, dont le magistrat Jacques De Lentdecker, étaient au courant. De cette vulnérabilité, mais aussi de soupçons de la police judiciaire fédérale sur un éventuel pacte de corruption entre elle et un avocat d’Overijse, Robert Peeters. Le Flamand De Lentdecker a occupé les fonctions de procureur général entre le départ anticipé d’André Van Oudenhove et la nomination de Marc de le Court. Ancien chef de cabinet du ministre de la Justice Melchior Wathelet (PSC), il a toujours eu ses entrées dans les cabinets CD&V. La PJF le soupçonne d’avoir contribué à étouffer l’enquête disciplinaire qu’il avait pourtant engagée, le 1er août 2007 à l’encontre de la juge, dans le cadre du dossier Peeters ( lire en pages 18 à 20). Accusation non confirmée à ce jour par Stefaan De Clerck.

L’enquête disciplinaire a été menée par le magistrat instructeur Paul Blondeel, conseiller à la cour d’appel de Bruxelles. Elle est terminée, mais elle gît toujours sur le bureau du premier président de la cour d’appel de Bruxelles, Guy Delvoie, en partance pour le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Elle n’a pas relevé de  » fait pénalement répréhensible « . Mais, vu la situation personnelle d’endettement de Francine De Tandt, la cour d’appel de Bruxelles a émis un avis négatif, le 6 août 2007, lorsque celle-ci a fait acte de candidature à la présidence du tribunal de commerce. En revanche, l’existence d’une dette n’a pas semblé être un obstacle majeur aux yeux du Conseil supérieur de la justice, qui a proposé unanimement sa nomination à la ministre de la Justice de l’époque, Laurette Onkelinx (PS). Chose faite le 16 octobre 2007.

M.-C.R.

une dette partagée rend la juge  » vulnérable « 

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