Fourniret Les mots et les mortes

Pendant les quatre jours du procès où il a accepté de s’exprimer, le tueur en série a multiplié les répliques pédantes et les déclarations pompeuses. Une éloquence perverse qui lui sert à briller et à se protéger.

Marie Huret

Thébaïde. Michel Fourniret raffole de ce mot-là. Il le glisse dans ses BD. Etale son érudition au crayon. Ça n’a pas échappé au psychanalyste Philippe Herbelot, qui décortique le cas du tueur en série à la 27e journée d’audience :  » Il l’utilise souvent, relève l’expert. Cela désigne une région proche de Thèbes où les religieux en exil se réfugiaient.  » Le matin même, le 16 mai, l’accusé s’est furieusement retranché dans sa thébaïde à lui : le mutisme.

Derrière le box vitré, le barbu à l’éternel pull à losanges a mimé un non de la tête, secoué ses cheveux gris, puis coupé son micro.  » Je vous garantis l’absence de tout écart de langage à l’avenir, c’est terminé !  » s’est-il justifié devant une cour d’assises des Ardennes médusée. L’avocat Didier Seban vient de heurter l’ego du chasseur de vierges en le forçant à revivre la scène d’étranglement de Jeanne-Marie Desramault. Le  » grand  » Fourniret s’est fait voler ses répliques.  » Ecoutez, Seban, ce n’est pas une loque émotive comme moi qui va se laisser impressionner par un petit avocat de merde !  » a-t-il hurlé.

On ne fait pas parler impunément un Michel Fourniret. Le forestier reconverti en tueur égocentrique dégaine ses mots comme des flèches. Au président Latapie, il ne dit jamais oui, mais  » indubitablement « . Jamais non, mais :  » Vous me prenez en défaut de détails de mémoire.  » Tandis que sa femme, Monique Olivier, 59 ans, le dos voûté, bredouille :  » J’me souviens plus.  » Son phrasé cynique, son style ampoulé marquent ce procès historique, dont le verdict est attendu fin mai.

Accusé d’avoir tué sept jeunes filles entre 1987 et 2001, l’Ardennais de 66 ans n’aura tenu que quatre jours sa promesse de s’exprimer sur les faits. C’est peu pour les familles, qui espéraient en savoir plus sur les derniers instants de leur enfant, et déjà trop. Fourniret leur livre ses détails scabreux à l’imparfait du subjonctif, en docte technicien. Discute de la couleur biche d’un break 405 au bout de huit heures d’audience.  » Pour lui, les mots sont des friandises qui lui servent à revivre son scénario « , relève Me Seban. L’avocat de la famille Leroy, Gérard Chemla, ajoute :  » Notre objectif n’est pas d’accompagner son éloquence perverse. On veut des faits ! « 

Dans son lexique à lui, il n’y a pas d’agression à la lettre A : c’est un  » accostage « . A la lettre V, pas de  » victime  » : il y a  » vouvoiement « . Tout n’est que parure, la souillure n’existe pas. Cachée sous sa mèche brune, Sandrine, 41 ans, raconte à la cour. Il a brandi une fiole de vitriol. Elle est montée dans la voiture. A l’époque, la lycéenne passait son bac philo :  » J’ai cru qu’il allait me tuer.  » Une voix métallique s’échappe du box. Il jubile :  » Permettez-moi, madame, de raconter les moments que nous avons partagés ? « 

Son goût de la métaphore tourne à l’offense, face aux familles serrées sur leur banc. Un homme s’agrippe à son micro sans fil, comme si cela l’aidait à tenir debout. Digne et ému aux larmes, le père d’Isabelle Laville s’approche :  » Quand vous perdez un enfant, ça vous fait quoi, monsieur Fourniret, vous qui en avez perdu deux ?  » Fourniret vient de lui expliquer qu’il a cueilli son Isabelle comme à la chasse :  » A l’image du braconnier qui part sans savoir s’il va ramener un faisan ou une garenne. « 

L’Ardennais parle comme dans Flaubert. Il se sent  » ébaubi « , porte des  » souliers « , règle des  » vétilles « . Ses mots désuets, Fourniret les tire des livres dévorés à la prison de Fleury où il a été incarcéré pour agressions sexuelles entre 1984 et 1987. L’ouvrier fraiseur qui rêvait de devenir ingénieur parle le russe, vénère Dostoïevski. C’est la revanche du fils du métallo de Sedan devenu brillant phraseur.  » On trouve une rigueur dans l’expression orale jusqu’au pédantisme « , note un expert psy à la barre.

Parfois, le vernis craque. Le lapsus piège l’autodidacte :  » Merci de me tendre la corde, je suis un peu paniqué « , dit-il à l’avocat qui reformule sa question. Face à Monique, il explose. Il a une dent contre elle, une  » sacrée molaire « . Le jour où l’associée jure qu’elle n’a pas tué Farida Hamiche d’un coup de baïonnette, il rugit :  » Arrête de dire des conneries, c’est pas vrai, ça… Connasse !  » Une réaction typique de tueur en série selon la juriste Corinne Herrmann, qui assiste Me Seban au procès :  » Comme un Heaulme, un Chanal, Fourniret possède deux niveaux de langage. Le premier, civilisé, cultivé ; le deuxième, guerrier : il nous parle d’état-major, de troupe. Notre stratégie, c’est de le désorganiser. « 

Les mots lui servent à briller et à se tisser une toile d’araignée qui le protège.  » On lui a ciré les pompes, on a joué l’indifférence, l’agressivité, les pleurs, résume Richard Delgenes, l’avocat de Monique Olivier. C’est impossible de faire parler Fourniret s’il n’en a pas envie !  » Sous le feu des questions, le prédateur a tout de même lâché :  » Je reste extrêmement dangereux.  » Et quand il s’est trouvé face à l’énigme vertigineuse –  » Comment devient-on Michel Fourniret ?  » – il a calé :  » C’est une question à laquelle je n’ai jamais tenté de répondre. « 

Mis en examen pour l’assassinat de Joanna Parrish et de Marie-Angèle Domèce, Fourniret aura le temps, d’ici à son second procès, de trouver une explication à sa mesure.  » Dantesque « , comme il dit. l

Marie Huret

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