Fille de…

Marianne Payot Journaliste

Acide, dévastatrice ou nostalgique, la parentèle n’a pas toujours le même goût. Démonstration avec Félicité Herzog, Nathalie Rheims et Emmanuelle Guattari.

… Maurice Herzog

Le 3 juin 1950 : Maurice Herzog, accompagné du guide Louis Lachenal, devient le premier homme à fouler un sommet de plus de 8 000 mètres, l’Annapurna, au terme d’une tragédie de glace et de roc. Pour avoir restauré l’orgueil national, Herzog, le flamboyant conquistador de l’Himalaya, immortalisé à la Une de Paris Match, avec son physique à la Clark Gable, est érigé en héros national. La République lui rend tous les hommages, de Gaulle le fera entrer au gouvernement. C’est cette belle image d’Epinal, à peine égratignée par la publication posthume des Carnets du vertige de Lachenal, que Félicité Herzog, sa fille aînée, broie aujourd’hui allègrement dans un roman subtil et très enlevé, ironiquement intitulé Un héros.

Si peu père et si piètre mari

Bien sûr, tout jeune enfant, Félicité admire ce quinquagénaire aux yeux de velours, auréolé de son ascension surhumaine. Mais, très vite, les paroles du talentueux conteur sonnent faux. Pour la narratrice, le Moloch de l’Himalaya aura non seulement  » laissé au sommet ses mains, ses pieds, mais aussi sa sensibilité, son humanité et l’estime de soi « . Maurice aura été si peu père, et un si piètre marià C’est en 1962 qu’il convole avec Marie-Pierre, fille du duc de Brissac et petite-fille d’Eugène Schneider, l’empereur sidérurgique du Creusot (en Saône-et-Loire, au centre de la France). Un mariage  » arrangé  » pour ces deux aventuriers de la vie – le volage secrétaire d’Etat aux Sports doit se faire une respectabilité, l’intellectuelle rebelle, après des premières épousailles avec un Simon Nora résistant et juif, rentre dans le rang et se réconcilie avec son milieu. Mais quand Félicité naît, en 1968, trois ans après son frère Laurent,  » l’ogre  » Herzog mène déjà une double vie, prélude à une longue série de conquêtes.  » Seuls primaient son rapport de séduction avec les femmes et leur assujettissement doctrinal absolu à sa légende « , note la fille du héros, à laquelle ce père de pacotille n’épargnera rien. De son côté, après son divorce, Marie-Pierre vit très librement ses amours – on reconnaîtra Claude Lanzmann ou encore Edgar Faure parmi les prétendants, esquissés ici avec malice. Elevés comme  » des enfants sauvages  » dans un grand appartement du XVIe arrondissement de Paris, Félicité et son frère Laurent s’installent dans un rapport de rivalité constante – non exempte de violence. Une brutalité que les longs séjours dans les châteaux des grands-parents maternels, si soucieux de l’étiquette, atténueront à peine – on savoure au passage les grinçants portraits de May et de Pierre de Brissac, qui frayèrent avec les collaborationnistes et pro-vichystes avant de recevoir le Tout-Paris.

Fallait-il un vaincu et un vainqueur ? Laurent, pris en tenaille entre l’exploit de l’Annapurna et la grandeur des Schneider, en perdra la raison. Félicité, analyste financière exilée volontaire à New York puis à Londres, sauvera, elle, sa peau, libérée des pesanteurs familiales. Et prouve avec ce premier roman détonant qu’on peut exceller à la fois dans les chiffres et dans les lettres.

Un héros, par Félicité Herzog. Grasset, 304 p.

Marianne Payot

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