Femmes entre terreur et révolte

Louis Danvers Journaliste cinéma

L’Iranien Darius Mehrjui dénonce avec une force rare l’oppression de la femme dans le bouleversant Bemani

En farsi (persan), première langue parlée en Iran,  » bemani  » signifie  » vivre « . Darius Mehrjui a fait de ce mot le titre de son nouveau film, et aussi le prénom d’une de ses héroïnes, une jeune fille que sa famille misérable va marier de force à un riche et vieux propriétaire, histoire de ne plus avoir de loyer à payer… Une histoire presque ordinaire et pourtant terrifiante, à laquelle s’ajoutent deux autres : celle d’une tisseuse de tapis que son père et son frère mettront à mort parce que, veuve, elle a osé se promener en compagnie d’un soldat et esquisser timidement avec lui l’ébauche d’un amour partagé ; et puis, celle d’une lycéenne que son père enfermera parce qu’elle a entamé en cachette des études supérieures dont il ne veut pas.

Bemani suit les destins croisés et exemplaires de ces trois jeunes femmes de la province d’Ilam, région proche de la frontière irakienne. Trois êtres opprimés par un ordre que la tradition machiste, la caution religieuse d’un islam fondamentaliste et des lois liberticides conspirent à maintenir dans la soumission. Jusqu’à inspirer chez certaines la révolte ultime du suicide par le feu… Darius Mehrjui met en images justes et fortes l’inacceptable réalité, dans un film en tout point admirable où se révèle (comme déjà dans Le Cercle, de Jafar Panahi) la profondeur d’une oppression qu’aucun relativisme culturel ne saurait faire passer pour autre chose que ce qu’elle est : une ignominie.

Débats passionnés

Mehrjui est considéré par beaucoup comme le fondateur du cinéma moderne iranien. Son premier long-métrage, Gav ( La Vache), fit sensation au Festival de Venise, en 1971, mais fut immédiatement interdit par le régime du chah pour la vision jugée rétrograde qu’il donnait de l’Iran. On dit que l’ayatollah Khomeiny, interrogé, peu après la révolution islamique sur ce qu’il pensait du cinéma, déclara qu’il n’aimait pas cet art mais qu’il avait apprécié Gav. Cet aveu sauva-t-il le septième art en Iran ? D’aucuns le pensent, ce qui n’empêche pas les films de Darius Mehrjui de connaître dans son pays une diffusion difficile. Les choses s’étant un peu améliorées depuis l’élection à la présidence de la République de Mohammad Khatami, Bemani n’a pourtant pas été interdit, et a fait l’objet en Iran de débats passionnés, tout en étant sélectionné pour le dernier Festival de Cannes. Le courage de celles et ceux qui luttent, en Iran même, pour une société plus libre et plus juste trouve une nouvelle expression dans le film bouleversant d’un cinéaste que son audace dénonciatrice n’empêche pas, par ailleurs, de faire £uvre d’artiste, avec la complicité d’interprètes extraordinaires de vérité. A voir et à méditer, à l’heure où, ici comme ailleurs, le débat sur le foulard ouvre aussi celui d’un certain islam patriarcal et totalitaire, révélé sous son visage extrême dans le déchirant Bemani.

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