Fais ce que dois

(1) Pol Delfosse, Jean-Michel Dufays, Martine Goldberg, ouvrage édité par la Fondation Rationaliste et Luc Pire, 345 pages.

Il en fallu mâcher de la poussière pour arracher la vie collective à l’emprise des religions. Celles-ci furent peut-être un passage obligé pour permettre aux hommes de faire société : il y a une histoire politique des religions. Mais les progrès de la civilisation matérielle et de la pensée ont fini par ne plus laisser les pouvoirs spirituels inspirer seuls, en s’appuyant sur leur propre vision du bien et du mal, les règles de la Cité. Cette évolution ne s’est pas faite sans peine. La sécularisation du droit n’a rien eu d’un long fleuve tranquille : faire en sorte que tous les citoyens soient traités de la même façon quelles que soient leurs opinions politiques, philosophiques ou religieuses a été un vrai chemin de croix…

Cette laïcité politique n’est pas séparable de la laïcité philosophique : refuser de s’en remettre à une doctrine pour instruire l’individu de ce qui est juste et injuste. C’est dans la foulée de la Réforme et des Lumières, que s’est peu à peu affirmée l’idée que, au plan éthique, ce n’est pas la transcendance, mais la conscience personnelle qui constitue le juge suprême face auquel l’homme doit comparaître pour savoir comment traiter l’autre de manière équitable. Contrairement à ce qu’affirment ses adversaires, cette conception de la morale – qui s’inscrit dans la tradition de Protagoras :  » l’Homme est la mesure de toutes choses  » – n’a rien de nihiliste. Loin du laxisme, elle exige, au contraire, un questionnement et un doute systématiques. Un travail épuisant de la raison raisonnante toujours inachevé.

En Belgique, la laïcité comme mouvement citoyen s’est développée au xixe siècle autour de revendications comme le suffrage universel, l’école publique ou le droit d’être enterré civilement. Il est difficile aujourd’hui de comprendre que ces réclamations politiques furent l’enjeu de vastes luttes où se sont affrontés, parfois violemment, les courants philosophiques, les classes sociales et les communautés culturelles du pays. Plus récemment, les laïques y ont conquis d’autres droits comme l’avortement ou l’euthanasie. Cependant, le grand £uvre de la laïcité, la sécularisation totale de la vie publique, est loin d’être atteint.

C’est désormais moins au sein des partis que s’enracine la  » lutte finale  » contre les tables de la loi – sacrées ou profanes – que dans les organisations non confessionnelles elles-mêmes qui jouissent désormais d’un statut comparable à celui des communautés religieuses. Dénombrant de plus en plus de sympathisants, l’humanisme laïque constitue ainsi un courant sociologique qui compte, mais sans, pour autant, jouir de la visibilité ostentatoire des cultes. Les 500 notices biographiques, institutionnelles et conceptuelles du Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique (1) viennent donc combler une lacune sérieuse. Singulièrement à un moment où les replis identitaires qui obscurcissent l’époque menacent l’idéal universaliste et égalitaire dont les laïques n’ont pas le monopole, mais dont ils sont parmi les gardiens les plus vigilants.

de jean sloover

Un dictionnaire historique rappelle (enfin) l’éthique et l’histoire de la Belgique laïque…

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